La France est-elle en train de perdre sa souveraineté économique ? On pourrait le redouter à l'heure de la mondialisation des échanges et des " firmes globales ", où les produits d'Asie inondent les marchés et où les technocrates de Bruxelles semblent dicter leurs politiques aux Etats-nations. Ces appréhensions, écrit Elie Cohen, sont mal fondées : la mondialisation n'a pas l'ampleur qu'on lui prête ; les échanges avec les pays à faible coût de main-d'œuvre sont dérisoires ; les " firmes globales " sont peu nombreuses et leur influence économique est la même depuis trente ans. Quant à la Commission européenne, elle n'a rien imposé et ne peut rien imposer à l'Etat français : ni le démantèlement du service public, ni la privatisation des entreprises, ni l'ouverture commerciale. L'organisation de l'Europe n'affaiblit pas notre souveraineté économique mais, au contraire, la renforce : elle donne à la France pour partenaires privilégiés des pays qui partagent le même modèle économique et social ; elle lui garantit le respect par tous d'une norme commune ; elle lui procure les moyens de marquer les règles du commerce mondial. Bref, elle lui offre des atouts que, seule, la France n'aurait pas. De fait, avec l'Europe, l'Etat français s'est donné une contrainte pour s'adapter au nouvel ordre économique, pour forcer aussi les esprits et les groupes d'intérêt à rompre avec leurs vieilles habitudes. Cet essai veut apaiser des inquiétudes légitimes, mais aussi prévenir contre les illusions d'une rhétorique incantatoire sur l'exception française.
Elie Cohen, économiste, directeur de recherche au C.N.R.S., est l'auteur notamment de L'Etat brancardier (1989) et de Le Colbertisme " hight tech " (1992)