Michel Barouche ne parvient pas à terminer son roman. Au rocher de Surlej, où Nietzsche eut l'illumination de l'Éternel Retour, il espère lui aussi connaître l'inspiration. Sinon, il préfère mourir. Mais, haut-lieu touristique à présent cerné d'absurdes bâtisses, Surlej ajoute au découragement du romancier. À l'hôtel où il passe la nuit, il apprend d'un vieux guide l'étrange caractéristique du piz Lunghin, seul sommet des Alpes à commander trois bassins hydrographiques. Il y monte, fait un faux pas et bascule dans le vide. Il survit miraculeusement à une chute de trois cents mètres et se réveille à l'hôpital. Mais quelque chose a changé. Sa chute n'avait duré que quelques secondes ; mais, pendant ce laps de temps infime, toute sa vie s'était déroulée, à l'envers, avec une extraordinaire précision. Qu'il soit venu en Engadine dans l'intention d'y mourir ; qu'il y ait miraculeusement réchappé d'une chute involontaire ; qu'il ait vu se dérouler sa vie et sa mort, comme un spectateur assiste à une pièce de théâtre ; et surtout, surtout ! que les épisodes ainsi revécus soient pour lui des souvenirs inconnus jusqu'alors, mais dont il sentait bien qu'ils ne pouvaient qu'être essentiels - voilà ce qui l'intriguait. Il n'était plus question de littérature. C'est à résoudre ces questions qu'il devait désormais consacrer son temps.
Romancier, nouvelliste, Sylvain Jouty a publié récemment chez Fayard, L'Odeur de l'altitude, Grand prix du salon du livre de montagne, et Voyages aux pays évanouis, prix Renaissance de la nouvelle.