A la racine de l'idée démocratique - c'est elle que
nous allons considérer tout d'abord, et non la réalité politique, qui s'en approche plus ou moins - se rencontrent deux postulats de notre raison pratique ; en elle, deux instincts fondamentaux de l'être social tendent impérieusement à leur satisfaction. D'abord la réaction contre la contrainte qui résulte de l'état de société, la protestation contre la volonté étrangère devant laquelle il faut plier, contre le tourment de l'hétéronomie. C'est la nature elle-même qui, dans la revendication de la liberté, se rebelle contre la société. Mais ce fardeau de la volonté étrangère qu'impose la vie en société paraît d'autant plus
pesant que le sentiment inné que l'individu a de sa propre valeur s'exprime plus directement dans la négation de toute supériorité de valeur d'autrui, que celui qui est contraint d'obéir éprouve plus irrésistiblement à l'égard du maître, du chef, ce sentiment qu'il n'est qu'un homme comme lui, qu'ils sont semblables et se demande alors quel
droit il a donc de lui commander. Ainsi, l'idée radicalement négative et jusqu'en ses racines les plus profondes antihéroïque d'égalité se met au service de la revendication, également négative, de la liberté. (Hans Kelsen)