Marie-Anne Detourbay (1837-1908), dite Jeanne de Tourbey, fillette issue d'un milieu pauvre, employée à 8 ans au rinçage de bouteilles de champagne, quitte Reims, sa ville natale, à 15 ans pour, dit-elle, avoir " Paris à mes genoux ". Le premier à y être, Dumas fils, la baptise " la Dame aux violettes " et la laisse à Émile de Girardin qui la "cède " au prince Napoléon. Dès lors, ouvrant un salon littéraire, elle commence une carrière d'égérie. Flaubert lui adresse de folles lettres d'amour. Grande dame du Tout-Paris, elle fait aussi bien des hommes politiques que des académiciens. Il n'est pas impossible qu'elle soit le modèle de L'Origine du monde, le tableau de Courbet qui fit scandale. En 1870, Ernest Baroche, personnage du gouvernement, meurt en défendant Paris. À Jeanne, qu'il voulait épouser, il laisse une fortune qu'accroît le comte Edgar de Loynes, qui l'épouse et disparaît aux Amériques. Puissante sous le Second Empire, elle l'est encore dans les trente premières années de la Ille République, régnant sur ce qu'il y a de plus en vue dans le monde de la littérature et de la politique. Partie prenante du boulangisme et de l'affaire Dreyfus, elle est efficace, voire indispensable, à la création d'un mouvement et d'un journal aussi importants que L'Action française. De Sainte-Beuve à Mata Hari, de Gounod à Marie Curie, de Renan à Clemenceau, tout ce qui, pendant un demi-siècle, compta dans les arts, les lettres, la politique, aura croisé pour un moment la vie extraordinaire de la comtesse de Loynes. Inspiratrice et conseillère, elle exerça avec une exceptionnelle discrétion son influence sur les choses et les êtres, s'appliquant à rester dans l'ombre. C'était, jusqu'ici bien oubliée, l'une des femmes les plus curieuses et passionnantes de notre histoire.
Auteur de romans, d'essais et de pamphlets, prix Radio de la Société des compositeurs et auteurs dramatiques, Pierre-Robert Leclercq collabore au Monde des livres.