Nombre de films contemporains, aux rangs desquels on
compte aussi bien des auteurs indépendants que des
réalisateurs de blockbusters, jouent sur la perméabilité des
frontières entre la réalité et l'illusion en construisant des pièges
perceptifs qu'il conviendrait de nommer des trompe-l'Oeil
cinématographiques : un renversement des apparences révèle
au spectateur que ce qu'il croyait relever de la réalité du film
n'était qu'imaginaire ou fantasmatique, le produit d'un rêve ou
d'une folie. Si le procédé est nouveau, ce n'est certes pas en ce
que le leurre serait étranger à la tradition cinématographique :
le cinéma américain regorge de personnages abusés. Ce
classique renversement des apparences prendrait cependant
une figure nouvelle en transposant sur le plan visuel cet enjeu
narratif et en .s'adressant désormais moins au personnage
qu'au spectateur. Le film ne se contenterait plus d'être le récit
d'une duperie ou d'un complot reposant sur la part d'ignorance
à laquelle le héros. comme toute subjectivité, est condamné,
mais il y aurait dans ces nouveaux trompe-l'oeil comme une
démonstration par l'effet qui implique notre rapport à l'image
et à ses puissances. Le filer, comme le texte. est selon le mot
d'Umberto Eco une "machine présuppositionnelle" : sa
mécanique inclut son sort interprétatif. Si tous les films
reposent donc sur une stratégie qui implique d'anticiper les
attentes du spectateur. les trompe-l'oeil cinématographiques
formulent plus explicitement que les autres sa place et ses
croyances. Ils sont en cela analogues à un regard-caméra : le
moment de la désillusion est celui où le film se tourne vers le
spectateur et indique le lieu où il le situe. Ce que nous révèle
un cinéma du trompe-l'oeil, c'est d'abord la manière dont il
nous voit. Ainsi, à rebours de leur apparence critique ou de
leur volonté de divertir. ces films tiennent un discours fondé
paradoxalement sur la valeur du réel. Conformément à l'effet
pervers d'un doute insuffisamment radical. les trompe-l'oeil
cinématographiques ne dessinent plus des mondes imaginaires
qui s'opposent â la réalité et conduisent à sa réévaluation. ruais
fondent au contraire leurs mondes fictionnels sur (autorité du
réel qu'ils désignent tout à la fois cornue idéal et comme
norme.
Aurélie Ledoux est agrégée de philosophie et docteur en
études cinématographiques. Elle partage son enseignement et
ses recherches ente la philosophie et la théorie du cinéma à
l'université Paris Diderot-Paris 7.