[Cette thèse] est une étude résolument nouvelle : pour la première fois, un juriste de droit privé analyse de façon méticuleuse le travail des groupes de pression, les fameux " lobbies ", puisant son savoir dans les bibliothèques, mais aussi dans des enquêtes de terrain et de très nombreux entretiens, recueillis auprès des intéressés. [...] [Jean Lapousterle] contribue à faire réfléchir sur la reconfiguration des sources du droit.
Pour être concret et parce que c'est une de ses spécialités, il est parti du droit d'auteur et des industries culturelles, enjeux économiques essentiels, sur lesquels les batailles des lobbies, en amont, sont quasi-homériques (licence légale sur l'Internet, droit de copie privée, etc.). Parmi sa récolte, on trouve la confirmation de ce qu'on commence à réaliser : que les compétitions de chaque groupe rival, pour obtenir la norme qui lui est la plus favorable ou la moins contraignante, sont reçues, voire encouragées par les pouvoirs publics (Commission CE, gouvernement, ministères concernés).
Ce qui en soi, mettant le pouvoir normatif au contact des professionnels, est bon ; mais conduit à des effets pervers redoutables : à force de transactions, concessions sur telle loi, tel article, tel paragraphe, tel signe de ponctuation, la norme devient complexe, obscure, difficile à appliquer et interpréter. C'est le premier effet pervers. En outre, pour que personne ne soit vaincu, les autorités normatives ont alors une tendance à prendre des textes qui ménagent tout le monde : il y a un droit à ceci, mais aussi à cela ; il y a ce principe, mais attention à l'exception, etc.
De sorte que les normes s'annulent et que la loi ne donne plus de directions nettes. La conjugaison de ces effets pervers a un effet immédiat : la norme est obscure ? Le juge (supranational, français) en sera d'autant plus libre pour dire le droit. Elle n'a pas pu ou su prendre parti entre deux intérêts opposés ? Le juge tranchera à sa place. En d'autres termes, dans le rapport des sources du droit, l'influence des groupes de pression s'étend ainsi directement à la confection des normes contemporaines et indirectement à l'émancipation de plus en plus radicale des juridictions.
On voit ainsi que loin d'être un travail théorique, cette monographie rendra de grands services à tous ceux qui participent à l'élaboration ou à l'application des lois, cherchent à comprendre comment cela marche, quelles sont les failles, ce qu'on peut tirer des textes actuels, ce qu'on peut faire pour ceux qui s'annoncent. C'est l'illustration des services que les jeunes universitaires peuvent rendre à la pratique, sans forcément travailler sur des thèmes de droit positif souvent rebattus.
Ce travail sociologique et de théorie générale du droit jouit aussi d'un aspect ethnologique assez marqué : le contact, l'intervention en sous-main, c'est de l'humain, tout bonnement.