L'émergence, lente et pacifique, mais difficile et semée d'embûches, d'une Europe économique, politique et même, demain peut-être, militaire, sur la scène du monde, est un phénomène que nos consciences et nos habitudes nationales ont du mal à mesurer, et qu'elles font peu d'effort pour accompagner, sinon par de vaines clameurs contre Bruxelles ou la " mondialisation ". A plus forte raison ignore-t-on que l'Europe des Lettres confère à cette Europe en mouvement une légitimité profonde et une très longue mémoire. L'Europe des Lettres est apparue sitôt que l'Empire romain d'Occident a pu se ressaisir sous une forme nouvelle.
C'est celle de saint Bernard de Clairvaux et des grands ordres monastiques.
L'invention de l'amour courtois, une merveilleuse floraison de poésies et de romans ont été les signes de sa première renaissance. Et depuis, dans chacune des langues apparues en Europe, les écrivains ont toujours su qu'ils œuvraient sur un fonds commun antique et chrétien partagé par-dessus les frontières et les nations. La Renaissance italienne a fait rayonner dans toute l'Europe une " République des Lettres " et une " République des Arts " qui ne connaissaient ni frontières ni nationalités. Le Romantisme, malgré sa passion pour " les peuples ", ou à cause d'elle, a été lui-même
un phénomène européen.
Aujourd'hui l'histoire de la littérature et la critique littéraire se doivent de contribuer à mettre en lumière, dans ses strates et ses aspects les plus divers, cette dimension spirituelle et ancienne de l'identité et de l'unité de l'Europe.
L'ensemble des études publiées dans ce recueil sous le patronage du Collège de France répond à celte exigence. Une pléiade internationale d'érudits auxquels s'est joint un poète mettent ici en évidence que la littérature a précédé l'économie et la politique, en inventant et en réinventant, de génération en génération, une Europe de l'esprit à la fois une et profondément diverse, où l'individu et sa singularité, ne sont jamais sacrifiés ni à un universel abstrait, ni à un enracinement jaloux.
Les lettres et les arts ont, depuis longtemps, dessiné l'horizon sur lequel l'idée d'Europe prend son véritable sens.
Marc FUMAROLI, de l'Académie française