Entre l'exaltation du "rôle positif" de la colonisation et le procès de la République colonialiste, la France semble aujourd'hui découvrir son passé colonial. Colonialisme, anticolonialisme : ces mots, inventés à la fin du XIXe siècle, renvoient à une réalité longue de cinq siècles, de la conquête de l'Amérique à l'écroulement des grands Empires dans les années 1960. Pendant cette période, l'adhésion à l'expansion de l'Europe a été le sentiment dominant avec le "fardeau de l'homme blanc" et les missions historiques attribuées par la religion ou la civilisation à certains continents. Cependant, ce sentiment n'est pas inné ; c'est une création culturelle de l'Occident, qui n'allait triompher que tardivement, dans les années 1930, après une lente expansion. A l'opposé, l'anticolonialisme est également présent dès l'origine, se manifestant au cours des siècles par la critique du sort des Indiens (Las Casas), l'éloge du bon sauvage (Montaigne, Rousseau...) et la dénonciation de l'esclavage par les philosophes du XVIIIe siècle pour qui les colonies sont inutiles, ruineuses et amenées à rompre avec la métropole. Bien que minoritaire, l'anticolonialisme est présent partout dans la société : chez des intellectuels, dans les milieux d'affaires, ou encore dans la paysannerie. Il trouve des références dans le marxisme, dans le christianisme, voire dans les valeurs universalistes liées aux droits de l'homme. Il suscite des protestations contre les guerres d'Indochine et d'Algérie par lesquelles s'achève l'âge colonial. Retraçant l'histoire de l'anticolonialisme, l'ouvrage éclaire donc un pan marginalisé dans l'étude de la période coloniale. Les deux questions des anticolonialistes sont toujours d'actualité : comment aller vers des solidarités entre l'Occident et le tiers-monde ? Comment éviter la guerre des cultures par la reconnaissance de la pluralité et de la diversité dans toutes les sociétés ? Redécouvrir aujourd'hui les anticolonialistes contribue à mieux comprendre le présent.
CLAUDE LIAUZU, professeur émérite à l'université Paris 7-Denis Diderot, a publié chez Armand Colin, Empire du mal contre grand Satan, 2005, et a dirigé l'ouvrage Colonisation : droit d'inventaire, 2004.