Près de vingt-cinq ans depuis la publication de l'essai de Jacques Rancière, Le Partage du sensible, mais aussi après la traversée de plusieurs tragédies, dont la mort de notre collègue Dominique Bernard à Arras à qui nous rendons hommage, la question du sensible en littérature demeure impensée dans ce lieu hautement politique qu'est l'école : comment le sensible s'y trouve-t-il construit ou déconstruit ? De quel commun relève-t-il ? Quelles expériences scolaires et littéraires requièrent ou génèrent du sensible et quels apprentissages effectifs peuvent s'y nouer ? Jusqu'à la reconnaissance du sujet lecteur et des lectures subjectives au cours des années 2000, le sensible réduit à la sensibilité de l'apprenant, était surtout tenu à distance. Pourtant, s'interroger en didactique de la littérature à travers le prisme du sensible permet de questionner la discipline "français ", la construction des expériences de classe, les outils d'analyse didactique et plus globalement l'épistémologie même de la recherche. Aussi tenté que l'on puisse être d'évoquer la "part sensible" de l'enseignement de la littérature, on préférera ici interroger le sensible en tant que vecteur de l'acquisition des savoirs, voire de leur élaboration. Comment des expériences sensibles façonnent-elles l'appropriation littéraire ? En quoi les pratiques littéraires contribuent-elles à rendre intelligible l'expérience sensible du sujet et du monde ? C'est à cet ensemble de questions que contribue cet ouvrage qui, après Voies du sensible : expériences dans l'enseignement de la littérature paru aux Presses de l'Ecureuil en 2023, se présente comme un des jalons d'une didactique toujours en devenir. Nathalie Brillant Rannou