Le « dégoût » provoque aversion, haut-le-coeur, rejet, bref, mise à distance sensorielle de l’objet répulsif. Réaction avant tout physiologique, le dégoût tiendrait de la nature plus que de la culture. L’esprit tend à se détourner d’un phénomène si incommodant et si impropre, au moins dans un premier temps, à être pensé. Or, ce serait oublier que le dégoût, comme le goût, s’éduque, se contrôle, se transmet, varie et se déplace dans l’espace et le temps. La présente livraison tente de débusquer les déterminations venues de la culture sous ce qui apparaît de prime abord comme éminemment « naturel ». Sans pour autant négliger son aspect proprement physique, et le ressenti intense qui l’accompagne. Ainsi les diverses contributions portent-elles le regard sur les espaces et les dispositifs sociaux où le dégoût fait l’objet d’entreprises de réduction et de neutralisation. En surmontant la répugnance que provoque le dégoût… y compris chez le chercheur, elles tentent de « dé-dégoûter » du dégoût, pour montrer à quel point regarder le somatique et les traitements qui en sont faits, même dans des lieux apparemment aussi rationalisés que les institutions, est utile pour comprendre le monde social. Après les écrivains, essayistes, philosophes, après les psychanalystes, les sociologues et les historiens, anthropologues et spécialistes de science politique réunis ici, analysent les dispositifs mis en place pour administrer le dégoûtant, dont le contrôle n’a jamais été aussi standardisé et aussi marqué. Traité tantôt dans sa dimension somatique, tantôt dans sa relation aux institutions, le dégoût sera d’autant plus vivement perçu qu’il se doit d’être occulté. S’intéresser au dégoût, c’est tenter de lever le voile sur la « part d’ombre » qui, aussi bien que les prescriptions explicites, participe à la régulation des pratiques sociales.