La recherche menée par Julien Barroche a pour visée de comprendre l'origine et les transformations du concept de subsidiarité par une analyse minutieuse et exhaustive de ses occurrences dans les écrits en français, italien, anglais et allemand concernant la théologie et la philosophie autant que le droit et la science politique. Refusant la simplicité des généalogies qui voient naître le concept chez Althusius pour trouver une vie nouvelle avec la pensée du magistère catholique au XXe siècle et enfin accomplir son destin en contribuant à la formation de la pensée juridique de l'Union européenne, Julien Barroche en décèle au contraire les discontinuités et les reformulations qui permettent d'éclairer non seulement le concept lui-même et son usage mais aussi les configurations historiques, sociales et culturelles dans lesquelles il prend place. Il s'agit, sous le signe de la Begriffsgeschichte de Koselleck, de proposer l'histoire d'un mot et de comprendre comment il a été inventé puis enrichi et réemployé. Le savoir mobilisé ici est impressionnant et, dessinant la carte conceptuelle d'une notion qui n'a cessé de circuler entre les trois espaces qui lui donnent sens : l'Eglise, l'Allemagne et l'Europe, la thèse de Julien Barroche démontre avec force en quoi et comment la subsidiarité navigue entre la conception libérale de l'Etat-gendarme et la conception sociale de l'État providence, sans pour autant se réduire à la synthèse des deux. La subsidiarité cristalliserait la manifestation préoccupante d'une perte essentielle de la notion d'Etat et le moyen par lequel certaines organisations seraient en mesure de justifier leur capture d'un pouvoir détenu normalement par l'Etat, institution des institutions. C'est parce que l'auteur a réussi à relier le concept à l'expérience qu'il peut avancer une interprétation aussi hardie que celle tenant que les luttes définitionnelles renvoient finalement à un seul enjeu : celui de la nature de l'Etat après les expériences totalitaires. On l'aura compris, on est ici en présence d'une thèse forte, informée, exigeante. Elle ne manquera pas de susciter des discussions dont on peut souhaiter qu'elles soient à la hauteur de la finesse de la démonstration et de l'ampleur de l'érudition mobilisée.