Ecrite en 2008, la pièce de Bozena Keff rencontra un écho retentissant en Pologne lors de sa création. C'est qu'elle témoigne avec une violence et une profondeur rares des enjeux qui secouaient alors - et qui continuent à ce jour - la société polonaise, entre souvenirs de la Shoah et montée d'un antisémitisme d'Etat. Si elle révèle les tensions d'un pays en prise avec sa mémoire, elle met au jour aussi celles de l'Europe et de notre temps. A l'heure où les derniers survivants des Camps disparaissent, c'est la question du devenir de notre Histoire qui se pose, des fantômes qui la hantent. Bo ena Keff est de cette génération des enfants des survivants des Camps, qui voudrait être auteur de son histoire. Entre mémoire maternelle et violence paternelle, entre Histoire et Patrie, entre le silence du passé et l'impasse du présent, comment s'inventer une vie qui soit résolument la nôtre ? C'est dans une pièce qui prend la forme d'un oratorio sidérant de puissance, convoquant figures mythiques et contemporaines, Demeter et Lara Croft, lyrisme prophétique et rage de l'insulte, que Bo ena Keff convoque l'histoire pour mieux terrasser ces fantômes - ou apprendre à vivre avec eux ? Pièce énigmatique et vertigineuse, "oeuvre-monstre" comme le disent les deux traductrices de cette pièce, Sarah Cillaire et Monika Próchniewicz ; qui propose la première traduction en français de cette oeuvre fondamentale : De la Mère et de la Patrie traverse les formes les plus antiques du théâtre pour dire la tragédie du présent, afin aussi de trouver les forces de lui résister. Arnaud Maïsetti