"Je ne suis pas un musicien Cubiste, encore moins Futuriste, et bien entendu pas Impressionniste. Je suis un musicien sans étiquette". Si la musique de Poulenc est son portrait, comme il se plaisait à le dire, ses lettres sont bien un autoportrait. Ce millier de lettres, inédites pour les deux tiers, constitue une source incomparable pour la compréhension de son oeuvre. Adressées à sa famille, ses amis, ses confrères compositeurs ou interprètes (Milhaud, Stravinsky, Falla, Prokofiev, Bernac...), ses éditeurs, ses collaborateurs, hommes de lettres ou artistes (Eluard, Louise de Vilmorin, Picasso...), ses mécènes (les Polignac, les Noailles), des journalistes, elles fourmillent de jugements sur sa propre musique et sur celle des autres. Elles permettent également de découvrir les multiples facettes de sa personnalité, de démystifier le créateur en pénétrant dans sa vie quotidienne : "Il faut toujours du terreau humain pour faire pousser des lys". Au-delà d'une magnifique autobiographie et d'un guide inégalable pour la connaissance de sa musique, la correspondance de Poulenc constitue une passionnante chronique d'une quarantaine d'années de vie musicale parisienne, des années vingt aux années soixante, des concerts du Goupe des Six et des Ballets russes aux débuts du Festival d'Aix-en-Provence et du Domaine musical. Poulenc représente toute une génération de compositeurs français dont la carrière se trouve métamorphosée par le développement du disque, de la radio et de la télévision, alors que les salons parisiens conservent leur efficacité dans la création et la diffusion musicales. De Saint-Saëns à Boulez, sa correspondance s'enracine dans la fin du XIXe siècle et se projette vers la fin du XXe. Après Chabrier et Debussy à qui il vouait une admiration particulière, Poulenc (1899-1963) s'inscrit indéniablement dans la lignée des rares compositeurs épistoliers français. Par son ton vivant et spontané, l'élégance et l'humour de sa plume, son plaisir évident d'écriture se communique irrésistiblement au lecteur. Un apparat critique très important enrichit cette édition et en fait un outil précieux de connaissance de cette époque. Myriam Chimènes est chercheur au CNRS.