William Morris (1834-1896) fut l'un des premiers à s'efforcer de bâtir des liens entre le monde de l'art et celui du travail. Il n'a cessé, dans ses écrits, de souligner, marteler même, l'étroitesse du rapport de l'art à la société. Saturés peut-être de lectures marxistes ou prétendues telles, nous avons tendance à sourire. Il faut nous en garder. D'abord parce qu'une évidence ne perd pas de sa vérité à être rappelée. Ensuite parce que l'époque victorienne, si moderne à tant d'égards, n'avait pas achevé en 1880 la mutation qui lui permettrait d'intégrer l'esthétique dans le social - sauf peut-être en littérature. Dans cette analyse, Morris n'était pas un précurseur ; John Ruskin l'avait précédé avec élégance et sophistication. Morris, lui, s'est voulu simple sans simplifier, convaincant sans ressasser, enthousiaste sans vaticiner. D'où ces textes limpides, soigneusement et solidement argumentés, qui cherchent à emporter la conviction d'auditeurs ou de lecteurs nullement acquis d'avance mais supposés ouverts, curieux, avides même d'apprendre. Militant, Morris a voulu obtenir une adhésion des coeurs autant que des esprits. Il y a dans son optimisme une exigence rationnelle et nécessaire, d'unité dans les aspirations et les luttes humaines. Comme jadis, le bon, le beau, le vrai sont postulés comme allant de pair ; et la justice sociale, la fraternité ; la beauté (des corps comme des âmes) sont une même réalité ou plutôt un même idéal multiforme. Reconnaissons que voilà un beau rêve. Jean Gattégno