Pourquoi la France n'a-t-elle pas choisi d'adhérer à la Réforme protestante au XVIe siècle ? Le royaume avait déjà une solide tradition nationale et manifestait depuis longtemps son indépendance à l'égard de Rome, en insistant sur " les libertés de l'Eglise gallicane ". Ce gallicanisme, pour reprendre le terme forgé après coup au XIXe siècle, est même un des éléments essentiels de la conscience nationale française, un peu trop oublié par les historiens. Sûrs de leur excellence religieuse, les Français du XVIe siècle gardent une mémoire très vivante des premiers temps chrétiens du royaume, de Denys l'Aréopagite, fondateur mythique de l'Eglise de France, au premier roi catholique Clovis. Ce lien entre conscience nationale et sentiment religieux, loin de favoriser la rupture avec l'Eglise romaine, fonde au contraire l'idée de nation sur la tradition catholique gallicane. Cette tradition est opposée non seulement à la Réforme, mais aussi aux tentatives de l'Etat royal pour incarner seul l'idée nationale. La vision gallicane du monde rejette ce contrôle exclusif de l'Etat, qu'elle retrouve aussi bien dans l'Angleterre protestante que dans l'Espagne catholique. La fidélité à Rome, malgré tous les défauts de la papauté que les Français se plaisent à décrire tout au long du siècle, devient un moyen de garantir une continuité de l'histoire nationale, qui ne dépend pas exclusivement de la monarchie. Pour étrangères que ces conceptions nous soient devenues, elles n'en ont moins laissé des traces dans la conscience nationale française jusqu'à aujourd'hui.
Alain Tallon est maître de conférences en histoire moderne à l'Université de Paris IV-Sorbonne. Il est notamment l'auteur de l'ouvrage La France et le concile de Trente, paru à l'Ecole française de Rome en 1997.