" On l'a parfois surnommé le Rimbaud albanais, mais, dans cette comparaison, on n'a jamais bien su faire la part de sa mort prématurée et celle de la noirceur de son oeuvre. Or, s'il n'a pas été un Rimbaud, il a encore moins été un Lermontov ou un Kleist de nos montagnes. Il a tout simplement été Migjeni. Il se suffit à lui-même pour être un grand écrivain albanais, un des écrivains les plus tourmentés de l'Europe des années 30, qui vécut et travailla dans un pays et à une époque difficiles dont la composante tragique marqua toute sa création. Peu abondante en volume, celle-ci est d'une densité exceptionnelle. Comme dans toute oeuvre d'art authentique, on y observe ce merveilleux phénomène par quoi la vie de l'écrivain s'entrelace et se fond _ tout en s'enrichissant _ avec des milliers d'autres vies anonymes dont le témoignage ou le drame ne figurent dans aucune chronique, encyclopédie ou histoire nationale. " " Je suis votre berceau, peut-être votre tombeau ", avait écrit Migjeni plusieurs années auparavant à propos de ses oeuvres. " Il a finalement défoncé sa tombe pour venir délivrer à la littérature albanaise son propre message avec tout l'ascendant et le poids que lui conférait son retour des ténèbres. " Ismaïl Kadaré