Maintenant, à l'heure où j'écris ces dernières lignes, mes yeux se tournent involontairement vers ce coeur illimité de l'Asie sur lequel se déroule le tracé de mes courses errantes. A travers les tourbillons de neige ou les tempêtes de sable du Gobi, je revois le visage du houtouktou de Narabanchi tandis que d'une voix calme, sa main pointant vers l'horizon, il m'ouvrit les portes de ses pensées les plus profondes : " Près de Karakoroum, sur les rives d'Ubsa-Nor, je vois les immenses camps multicolores, les troupeaux de chevaux et de bétail, les yourtes bleues des chefs. Au-dessus, je vois les bannières de Gengis Khan, des rois du Tibet, du Siam, d'Afghanistan et des princes indiens ; les signes sacrés des pontifes lamaïstes ; les armes des Khans, des Olets et les simples signes des tribus mongoles du Nord. Je n'entends pas le bruit de la foule agitée. Les chanteurs ne chantent pas les airs mélancoliques des montagnes, des plaines et des déserts. Les jeunes cavaliers ne se plaisent pas à courir, montés sur leurs rapides chevaux... Il y a des foules innombrables de vieillards, de femmes et d'enfants, et, au-delà, au Nord et à l'Ouest, aussi loin que l'oeil peut atteindre, le ciel est rouge comme une flamme, on entend le grondement et le pétillement de l'incendie, le bruit féroce de la bataille. Qui dirige ces guerriers qui, sous le ciel rougi, versent leur propre sang et celui des autres ! Qui conduit ces foules de vieillards sans armes ? Je vois un ordre sévère, une compréhension profonde et religieuse du but, de la patience, de la ténacité, une nouvelle émigration des peuples, la dernière marche des Mongols. "