Lorsque Thiers meurt en 1877 après avoir dominé plus d'un demi-siècle de vie politique, l'affliction est quasi unanime : la patrie vient de perdre un grand homme qui a voulu empêcher la guerre de 1870, a libéré le territoire, relevé la France en trois années et fondé la République. Mais cette image se dégrade vite : les statues que les municipalités ont décidé d'élever en son honneur sont bien rarement érigées. De nos jours, il apparaît comme un bourgeois étriqué et égoïste, un médiocre qui n'a jamais eu l'avenir à l'esprit, comme le massacreur allègre de la Commune.
C'est oublier la figure du libéral de la Restauration de l'animateur des Trois Glorieuses, de l'apôtre de la liberté sous Louis-Philippe et Napoléon III, du brillant orateur, du journaliste à la plume meurtrière, de l'historien de très haut niveau (avec son Histoire du Consulat et de l'Empire, la première du genre), de l'ami des romantiques.
De touts les hommes d'Etat du XIXème siècle, sans doute est-il celui qui en incarne le mieux les contradictions, les hésitations : ordre ou mouvement, progrès ou conservation ?