Il n'est pas fréquent de croiser la route d'un chercheur ayant dépoussiéré un courant intellectuel à part entière. En exhumant le mot zététique, en y adossant un scepticisme inspiré des Anciens Sceptiques Grecs, le professeur Henri Broch aura sacrifié une partie de sa carrière de biophysicien à étudier les phénomènes dits "paranormaux". Du "suaire" de Turin au "sang" de saint Janvier, de la "mémoire de l'eau" au fakirisme, Henri Broch passera près de 50 ans à vérifier des chiffres, déjouer des pièges sémantiques, s'allonger sur des planches à clous, et tester des gens convaincus d'avoir des "pouvoirs" dans le cadre du Prix-Défi avec 200. 000 euros. Il aurait pu en rester là, mais non : il a eu la lumineuse idée de transmettre, en construisant des cours universitaires devenus légendaires qui impacteront une génération d'étudiants. Quelles furent ses motivations ? Son extraction sociale ? Son obédience politique ? Son rapport aux croyances ? Ses doutes ? Ses "grandes affaires" ? Ses batailles homériques dans les tribunaux contre les escrocs ? ... S'attendait-il, en faisant de la zététique un champ à part entière, à voir en ce début de XXIe siècle une telle convergence d'enjeux, entre les marchands de doute, les prédicateurs vidéastes, les climatosceptiques ? Prévoyait-il que la communauté "zét" soit aussi vaste, si peu homogène, si fratricide ? Entre vraies controverses et fausses polémiques, la zététique est comme un petit drap de lin du XIVe s. que tout le monde tiraille ou malmène sur les réseaux sociaux. La vidéo web arrivant en masse dans les foyers vers 2015, les vidéastes les plus vus sont plus courtisés par les médias que les chercheurs et enseignants. Et le barbu professeur, à la retraite et hors réseaux sociaux, a failli être oublié, emportant avec lui la zététique "de terrain", celle qui met les mains dans le cambouis, fait dessiner des géoglyphes, monte patiemment des protocoles avec des médiums,... Ce n'est pas une simple histoire de vie que cet entretien retrace : c'est l'étude d'une trajectoire qui imprime une marque indélébile dans les courants sceptiques et matérialistes modernes. Richard Monvoisin qui fit sa thèse avec lui et poursuit la zététique universitaire, tente de lui tirer les poils de la barbe et les vers du nez, et de voir quels rêves il nourrit derrière son devoir de vigilance.