Entendre Le Joueur, c'est entendre une confession, c'est entendre une désespérance, mais c'est aussi entendre un chant d'amour. C'est entendre ce qu'Anna Grigorievna Snitkine a entendu pour la première fois, des mots qui lentement devinrent pour elle... Mais c'est encore entendre le mensonge, la duperie du moins. C'est croire avec Dostoïevski que l'aveu peut être une voie de rédemption. Mais c'est aussi une voie de leurre. Trop tôt peut-être a-t-il clamé son désir de changement, son repentir, sa volonté de sortir du cœur de la chute, dans cet enfer du jeu, dans ce Roullettenbourg, qui pour lui n'avait rien d'un lieu romanesque mais avait des couleurs infernales. Trop tôt peut-être encore a-t-il désespéré de lui. Trop tôt ? Ou trop peu sincèrement. Car ces mots mêmes qui sont les mots qui humilient, ne sont-ils pas aussi les mots qui procurent l'ivresse vertigineuse "d'une délectation morose"?... Détachement, haine sous-jacente, volonté, insolence, rancœur, tout est là. Tout, avec une fureur barbare : celle de Dostoïevski. Ce sont ses mots, son regard, sa hargne presque à contempler ce qui fait sa ruine, le conduit un peu plus chaque pas à se défaire, à se perdre. Jacques Bonnaffé se meut avec aisance dans tout cela. Avec la joie d'un disciple, il endosse la personnalité d'Alexis, à la fois vaste assez et trop étroite pour contenir Dostoïevski. Il parle, s'enivre presque des mots, sans jamais donner prise à la griserie trompeuse. C'est une ébriété lucide, voulue, recherchée même au travers d'Alexis. C'est Mme ébriété qui serait un point de contact avec Dostoïevski.