Des Esseintes, dernier descendant d'une noblesse épuisée, après avoir profité un temps des plaisirs d'une vaste fortune, ayant finalement asséché la veine des amitiés chamelles, des mondanités insipides et de l'exubérance juvénile décide, fébrile, de se retirer de Paris en un pavillon qu'il aménage en havre salutaire où il pourra se consacrer en paix à la lecture et aux raffinements des sens. Et c'est en effet un refuge délectable aménagé avec génie, décrit, justifié, exceptionnel, détail après détail, composé d'essences rares et exotiques, de teintes choisies suivant d'habiles calculs, d'étoffes précieuses, de vitraux, de curiosités, agencés avec la précision d'un goût sûr et d'une richesse remarquable. Tout y est visible, palpable, si vrai que l'on peut le sentir. Dans un isolement total, des Esseintes va pouvoir profiter d'une retraite quasi-monastique. Mais bientôt, malgré la perfection de son environnement, sa névrose resurgit, gâtant un à un ses sens et ses plaisirs, le faisant délirer sans raison apparente. Après des espoirs de rétablissements, fruits de médications spirituelles et ingénieusement délicates, soldées de pires rechutes, il est contraint d'appeler un médecin qui va finalement l'obliger à rentrer à Paris lui arrachant ces derniers mots : "Comme un raz de marée, les vagues de la médiocrité humaine montent jusqu'au ciel et elles vont engloutir le refuge dont j'ouvre, malgré moi, les digues".
Ouvrage au titre hautement significatif, A Rebours témoigne de la volonté de rejeter Le Naturalisme (XIXe siècle). Mais surtout, cet étrange livre - à travers l'exposé du "cas" des Esseintes - propose toute une série de jugements esthétiques (célébration de Charles Baudelaire, Paul Verlaine, Mallarmé et d'artistes comme Gustave Moreau et Odilon Redon) qui constituent les prémices de la sensibilité "décadente". En publiant A rebours en 1884, Huysmans rompt brutalement avec l'esthétique naturaliste. Les "tendances vers l'artifice" de son héros, Jean des Esseintes, son rejet de la modernité, ses goûts décadents, ses manières de dandy excentrique et ses caprices d'esthète enthousiasmeront les lecteurs et en particulier la "jeunesse artiste" qui se reconnut dans l'esthétique fin de siècle créée par Huysmans, lequel avait su faire la synthèse des influences morbides de Charles Baudelaire ou d'Edgar Poe, des propensions au rêve exprimées par les poèmes de Stéphane Mallarmé ou les tableaux de Gustave Moreau, et du réalisme exigeant des oeuvres de la littérature latine de l'époque de la décadence romaine.