La patrie de Mihàlis Ganas, c'est
l'Épire, au nord-ouest du pays, près de la frontière
albanaise : une Grèce pauvre et pour nous insolite,
montagneuse, pluvieuse, neigeuse. Il en fut chassé tout jeune
enfant, pendant sept ans, avec ses parents exilés pour cause de
guerre civile. Plus tard il dut, comme tant de provinciaux,
s'installer à Athènes pour gagner sa vie.
La poésie de Ganas est hantée par son enfance et ses montagnes,
ce rude paradis perdu.
Personnages principaux : lui-même, ses
proches, ses ancêtres. Il ne cesse d'évoquer les morts - qui sont
chez lui aussi vivants que les vivants. En cela il est on ne peut
plus grec. Tout un monde ancien parle à travers lui. Sa parole
simple, dense, ferme et en même temps subtile, ses poèmes droits et
rugueux comme des arbres, qui sentent la pierre et la terre humide,
sont le précieux dernier écho d'un monde paysan, mi-chrétien
mi-païen qui se meurt, dont sa génération aura été le témoin
ultime.
De même, on sent ces poèmes irrigués par le passé poétique
grec le plus originel et substantiel : Ganas est l'héritier
direct, le continuateur des merveilleux chants populaires et de
Solomos, père fondateur de la poésie grecque moderne au XIXe
siècle.
Mais notre poète des racines est en même temps branché sur sonépoque. Il nous décrit aussi, plus d'une fois, le monde urbain qui
l'entoure. Il ne cesse de monter et descendre l'échelle du temps,
dans ses thèmes comme dans ses formes, passant tout naturellement
du vers libre et du poème en prose, l'idiome dominant
d'aujourd'hui, à la versification traditionnelle.
Pierres noires,
par exemple, contient trois sonnets réguliers. Dans Bouquet,
recueil collectif entièrement versifié, Ganas déploie une
réjouissante virtuosité- ainsi que dans ses chansons, genre où il
est passé maître.
Voilà donc une poésie profondément polyphonique : elle ne
cesse d'entrecroiser, de faire dialoguer le poète et ses morts
bien-aimés, les époques, les traditions et genres poétiques, mais
aussi le réel et le rêve : la nature chez Ganas apparaît comme
hantée, le fantastique affleure un peu partout.
On trouvera ici les trois premiers recueils : Cène
d'angoisse (1978), Pierres noires (1980) et Yànnena
la neige (1989).
J'avais traduit et publié autrefois, dans mes
Cahiers grecs ou en revue, six poèmes du premier, le deuxième
intégralement et sept poèmes du troisième. Pour la présente édition
je me suis remis au travail, si bien qu'on pourra lire ici une
bonne moitié de Cène d'angoisse (la suite viendra un jour) et la
totalité des deux suivants.
J'avais également traduit, il y a douze ans, le quatrième opus, Ballade, pour les Cahiers grecs coédités avec la librairie
hellénique Desmos (14, rue Vandamme, près de Montparnasse à Paris).
Je serais étonné qu'on ait déjà tout vendu.
La suite ? Encore un grand recueil, Le sommeil du
fumeur (2003), Les petits (2000) qui rassemble des poèmes très
courts dont certains repris des oeuvres précédentes, les seize
poèmes en vers de Bouquet (1993) et les chansons, une bonne
centaine, dans Paroles : Mihàlis Ganas (2002) - de quoi
faire un nouveau volume.
Textes passionnants et difficiles à plus
d'un titre, aubaine et défi pour le traducteur. On verra plus tard,
pour l'instant j'ai le trac. Je tente d'expliquer pourquoi dans leCarnet du traducteur.
M. V. (Lien -> http://www.volkopvitch.com)