Je devrais être enterré ici, et Coco avec moi. Je devrais m'appeler numéro trente-cinq. Je devrais être pleuré comme je pleure ces anonymes pour... > Lire la suite
Je devrais être enterré ici, et Coco avec moi. Je devrais m'appeler numéro trente-cinq. Je devrais être pleuré comme je pleure ces anonymes pour qui leurs familles ne savent ni où ni comment se recueillir. Je devrais être oublié dans le fond de la brousse africaine pour mériter l'inattention réparatrice.
Je reste une erreur, un cas particulier qui ne vaut rien par lui-même, qui ne sert qu'à confirmer la règle, à mettre en valeur une horrible généralité. Voilà ma tâche... Je dois rester avec l'âme des disparus puisque j'en ai pris l'engagement. Je suis mort avec eux et si je suis revenu, c'est pour raconter la manière dont nous sommes morts...
Ce récit est celui d'un survivant. Patrice Auvray était à bord du Joola le 26 septembre 2002. Si le nom de ce navire ne vous dit rien, il est pourtant à l'origine de la plus importante catastrophe maritime civile de tous les temps. Cette nuit-là, au large de la Gambie, plus de 1900 personnes périssent dans un abandon total. Les rescapés, quant à eux, ne sont que 64.
Ce récit est un serment fait aux victimes et à leurs familles, celui de ne jamais les oublier, de ne jamais oublier cette tragédie. Le voudrait-il, comment Patrice pourrait oublier la disparition de Corinne sa compagne ? Comment pourrait-il oublier cette nuit invraisemblable sur la coque retournée face aux pêcheurs qui attendent des militaires l'autorisation de récupérer les survivants ? Comment pourrait-il oublier les centaines de personnes prisonnières des entrailles du navire qui n'ont pas été secourues ?
Ce récit est un témoignage précieux. 10 ans après, si la plaie est toujours ouverte pour les survivants, les familles des victimes et pour toute la Casamance, aucun responsable n'a été inquiété.