Il y a évidemment des points communs aux
auteurs qui se joignent à l'expérience publie.net, ou que nous
sollicitons pour cela. Ou bien le souhait que nous avons d'honorer
d'anciens et forts compagnonnages, ceux qui comptent, et la revueFusées, à laquelle participe activement Rémi Froger, en est
un exemple.
Dans ces points communs, une ligne de tension principale :
c'est l'écriture qu'on questionne.
Et forcément, dans son rapport à ce qu'elle nomme, la saisie
obscure du monde, des silhouettes, personnages, visages, les
cinétiques d'aujourd'hui, ombres de la ville, parcours de nuit.
Et
dans cette tension qui la fait art, et que la poésie (Blanchot
disait que la poésie est la littérature comme expérience)
incarne plus particulièrement, le défi posé doublement à la prose,
agir par le rythme, et à la poésie elle-même, tenir le vieux récit
du monde.
Le texte de Rémi Froger, Routes, repérages, est depuis
plusieurs mois sur publie.net, et il a attiré assez de nos passants
singuliers, sans doute déjà connaisseurs de cette écriture tout
aussi singulière.
Et c'est bien le coeur de la démarche, ici, que
la possibilité de ces reconnaissances, de main à main, silhouette à
silhouette, et cela aussi va bien avec ce texte.
Alors, dans cette interrogation en partage, voici un récit où le
monde se décompose, les silhouettes s'assemblent et cessent comme
dans ces films d'avant-guerre, en noir et blanc. La littérature
n'est pas ostensiblement présente : mais comment naïvement
utiliser une initiale comme ce « K » ici en déambulation
permanente ?
Les instruments de musique, dans cet art muet des images,
semblent seulement une allégorie onirique, l'art comme communauté, prova d'orchestra- mais ce que chacun affronte avec son
instrument est aussi la métaphore de l'auteur.
Ainsi le traitement des paroles plein texte, mais traitées comme
par arrêt sur images : et qu'alors nous ne soyons pas
capables de, paragraphe.
Puis reprise : que nous soyons incapables de commencer à
comprendre le monde tel que, paragraphe.
Et c'est bien le fait même de parler, l'interaction des paroles
dites avec le récit, la fusion du monologue intérieur et de la
fonction narrative, qui sont mises en avant, non pas comme ces
narrateurs d'avant Sarraute et Duras, qui savaient tout, mais comme
l'expérience d'aujourd'hui, où nous savons que les mots-eux-mêmes
contiennent cette énigme qui mène au monde.
Alors voici : récit à miroir.
Il y a matière à polar à
succès, mais l'auteur, comme les personnages ici, a déjà tourné le
dos - l'intéresse plutôt ce qui advient à la langue. Les
figures qu'elle forme, si on la contraint à ces tensions.
Mais prenez le droit (on vous en donne presque un tiers
ci-dessus) de vous y enfoncer comme dans une salle de cinéma vide,
celles qu'a photographiées en Amérique Iroshi Sugimoto, l'appareil
dans le noir déclenché pour la durée du film, et la pellicule
seulement impressionnée par les variations grises de l'écran.
C'està ce rêve qu'on peut se prendre. Et se révèle du coup un drôle de
film.
On repassera ce texte en Une de publie.net jusqu'à ce qu'on soit
tous d'accord là-dessus.
FB (Lien -> http://www.tierslivre.net)
Rémi Froger, vit et travaille en bibliothèque à Cahors. Il a
notamment coordonné le numéro de la revue Fusées (Lien -> http://fusees.wordpress.com/category/revue-fusees/) consacréà Bernard Noël,
ainsi que celui consacréà Gherasim Luca.
De Routes, repérages, un extrait a paru dans la revue en
septembre 2007 dans la revue en ligne de Chutes, essais, trafics (Lien -> http://www.pol-editeur.fr/catalogue/fichelivre.asp?Clef=5745).