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L'analyse de la création de Philippe Jaccottet présentée dans cette étude a pour originalité de suivre chronologiquement la production du poète et de tenter une analyse recueil après recueil afin d'en suivre les modulations qui la parcourent. Par là c'est à une critique de type existentiel que nous avons affaire. De L'Effraie à Pensées sous les nuages se lisent successivement l'élaboration et l'épanouissement d'une rêverie réparatrice (L'Effraie, L'Ignorant, Airs) compensant la conscience cruelle du temps qui tue, la subversion de cette rêverie par la mystique dans Paysages avec figures absentes, et un pur affrontement de la négativité qui fait le fond des derniers recueils ici étudiés : A la lumière d'hiver et Pensées sous les nuages.
Après L'Effraie et ses notations où s'inscrit une sensualité - notations riches de potentialités de rêveries -, L'Ignorant, livre de sagesse, s'exerce à la dépossession. Le poète, veilleur, passeur, s'efforce de tourner avec la lumière, de persévérer avec les eaux et de passer avec les oiseaux. Éléments d'un songe donne les clefs de l'inspiration des poèmes et proses qui suivent (Airs, Paysages avec figures absentes) : il s'agit d'être à l'écoute du divin répandu dans l'herbe.
Airs offre une lecture au fil des saisons qui note le battement de la vie. Dans Paysages avec figures absentes on voit le poète passer de l'inscription simplement recueillie à la rage de l'inscription. Insensiblement la page du sensible - si ardemment tenue dans Airs -, est trouée et la rêverie s'échappe dans l'Illimité. Le paysage devient sermon. Leçons et Chants d'en-bas rappellent à l'humilité le rêveur trop confiant dans les mots.
L'expérience concrète de la mort qui frappe les proches détruit toute velléité de poursuivre l'alchimie rêveuse qui rendrait le monde à l'ignorant frappé par les cris de l'effraie. Le seul trafic avec l'aérien est un trafic d'homme à homme - et non de l'homme face au monde : faire prendre air à l'homme appelé par le temps à se fondre inexorablement dans le bitume sombre (Les Cormorans). Dernier mot, venu de Pensées sous les nuages : il n'existe nul tisserand dans le monde pour faire naître la merveille, l'artiste est le seul tisserand qui ne peut délivrer qu'un salut de vivant à la vie.