Le corps humain est entré, à pas de loup, dans l'ère du soupçon. Jusqu'alors nous cohabitions paisiblement, nous étions indivisible : il était «... > Lire la suite
Le corps humain est entré, à pas de loup, dans l'ère du soupçon. Jusqu'alors nous cohabitions paisiblement, nous étions indivisible : il était « moi » et j'étais « lui ». Mais ce vieux compagnon de tous les jours est devenu un autre, un quasi-étranger. Il n'est plus cette « enveloppe charnelle » que nous traitions familièrement sans même y penser, mais un gisement de valeur, composé d'organes et de cellules qu'on peut vendre, louer, breveter, une machine plus ou moins performante qu'on peut améliorer, une « monnaie vivante » pour tout dire. Et on se pose des questions incongrues qu'on n'imaginait pas, il y a seulement quinze ou vingt ans. Si notre corps n'est plus nous-même, quel est alors son statut ? Une chose, un objet dont nous serions, au choix, l'inventeur, l'usager, le propriétaire ? Et, en retour, où logerait la personne ? Serait-elle devenue une catégorie impalpable, un concept vagabond, sans attaches, sans domicile fixe ? Entre chose et personne, notre identité vacille : nous sommes et ne sommes pas à la fois l'une et l'autre, et seule la mort nous réconcilierait peut-être avec nous-même ; seule, elle réunirait ce qui fut séparé. Car le cadavre, aujourd'hui, est sanctifié, glorifié, comme si le mépris porté au corps vivant se transmutait en vénération du corps du défunt.