C'est Yvan qui détacha la corde du cou de Mahb, pendue comme un mutin à la vergue, alors que, entrant, je m'étais précipité et l'avais enserrée par les jambes et le bassin, à la porter haut, la soulever, l'élever, comme une offrande au ciel, pour la soulager de la traction, mon visage venant buter contre son bas-ventre, ruisselant de mes larmes et de son urine. Et je gueulais comme un possédé dans mon rideau de larmes, qu'on vienne, par pitié.
Chourik, hanté par la disparition de Mahb, s'est réfugié dans les Basses Zones, une bande de terres trempées, où survit une populace de crocheteurs et de nécessiteux, entassés dans des cambuses sans eau et sans électricité. Le Moyen Âge. ourlé par des décharges à ciel ouvert, immense bric-à-brac déversé par la Métropole, qui s'en défend par des barbelés hauts de trois mètres et des patrouilles armées.
Chourik partage tout avec ses amis, bagarres, rêves, désespoirs et femmes de passage. Pablo, avec son sourire extatique, cherche Dieu dans les bars mal famés où il a le don d'énerver la clientèle. Yvan, lui, est brocanteur, de ceux qui débarrassent les maisons abandonnées. et, pour Yvan, toute maison a un air d'abandon. Un antiquaire profite de cette manne, mais l'antiquaire est assassiné. Et, après lui, Chérubin, un spécial lui aussi, beau comme un sphinx, solitaire mais toujours consentant quand on lui veut du bien.
Or, dans le quartier, circulent deux hommes de main, deux tortionnaires, au service de la mafia de la Métropole. Cet univers baroque est illuminé de l'intérieur par l'humour ravageur et la folie inspirée de ses héros, un trio de givrés, sans morale mais pas mauvais, chroniquement dingues des mêmes femmes. Une sorte d'innocence les transfigure (on pense aux miséreux des bas-fonds de Kurosawa ou aux angéliques mutants de Blade Runner), portée par la grâce et la puissance d'une imagination étincelante.