Personne ne sait où va cet homme célèbre, avec ses cheveux blancs, son vieux feutre sur les yeux, son air à la Bruant. Ce soir-là, parce qu'il se sent plus seul que jamais, il entre dans la chambre de Janine, amicale, silencieuse et qui ne le jugera pas. Toute la nuit, il essaye de lui raconter ; il lui faut se délivrer de tout ce qu'il a vécu, ressusciter une dernière fois Miléna son seul amour, Miléna rencontrée dans un réseau de Résistance, comme lui déportée, sauvée, puis perdue par sa faute.
Il boit, il parle. Il n'a plus beaucoup de temps à vivre et pourtant retarde le moment de dire la vérité : « Je t'ai trahie, Miléna, et pas seulement toi. » Écrivain, René a toujours triché : l'Académie, la Légion d'honneur, les titres de gloire, les faux trophées, les impostures. Il a menti à tous et surtout à Françoise sa femme. Entre Françoise mal aimée et Miléna, jeune femme peintre qui l'arracha à sa sécheresse de cour et le força enfin à s'engager, il n'a jamais eu le courage de choisir.
C'est Miléna qui a tranché, en repartant en Algérie, son pays déchiré. Une guerre, une révolution - l'Espagne où il fut reporter -, une autre guerre et l'Algérie comme un meurtre, René est bien seul avec sa mémoire. Il est vieux. La vieillesse ce n'est pas le nombre d'années. Tandis qu'il parle à Janine ensommeillée, il ressent le désespoir de devoir finir sans avoir tout donné à Miléna, sans avoir écrit ce livre, le seul vrai.
Auprès des images brutales de l'Espagne et la douleur des camps brillent aussi le bonheur, les jeunes visages, les matins à la campagne, la musique dans laquelle on plonge, la mer, une Venise-labyrinthe et cet amour exalté qui contenait tout. Et si la mort se dessine en ce récit, c'est la vie chaude, dangereuse, véhémente, aveugle qui ne cesse d'y battre.