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« « Je fréquente », disaient autrefois les jeunes filles, avec cet air discret, mais involontairement triomphal, qui laisse deviner la transgression des lois. Le verbe fréquenter n'avait pas besoin de complément d'objet. Il se donnait l'assurance des verbes intransitifs. Les demoiselles évoquaient de cette manière leurs rendez-vous furtifs avec des jeunes gens. Rendez-vous que la morale réprouvait encore, dans une époque moins éloignée qu'il ne paraît. On n'imagine pas un lecteur de Proust dire de la même façon : « Je fréquente ». Pourtant, la pratique des écrivains revêt toujours quelque chose d'illicite, car le rapport entre l'auteur et le lecteur se noue d'une manière clandestine, à l'insu de la société. La lecture rend tous ses droits et tous ses charmes à la solitude. Et l'on sait que celle-ci ne bénéficie pas d'une excellente réputation. Voici donc les écrivains que j'ai fréquentés, à diverses époques, dans ces mauvais lieux solitaires que l'on appelle des livres. »