Avec le passage du libéralisme au néolibéralisme, le management a quitté son terrain natif, l'entreprise, pour devenir néomanagement de la société. Dorénavant l'ensemble de la société étant pensé comme un marché concurrentiel, les traditionnelles distinctions entre espace public et espace privé, secteurs marchands et secteurs non marchands, logique du calcul et altruisme se trouvent abolies. Dans ce contexte, le néomanagement ne cesse d'étendre son empire.
De science de la gestion des entreprises, il est devenu, par ses procédures, ses techniques, ses normes, la nouvelle forme de gouvernementalité de notre époque.
Évaluation, performance, excellence, objectifs, efficacité, expertise, proactivité, qualité, flexibilité, autonomie, responsabilité individuelle, compétition..., tels sont quelques-uns des signifiants-maîtres, fétichisés, qui organisent son univers, notre univers.
C'est dans les termes de son discours que nous sommes en effet amenés dorénavant, et plus souvent à notre insu qu'il n'y paraît, à penser notre rapport aux autres, à nous-mêmes, au monde. Et cela, de l'école primaire à l'université, de l'usine à l'hôpital, que nous habitions, résidions au Nord ou au Sud, à l'Ouest ou à l'Est. Le monde du management est devenu le management du monde.
Si "manager" signifie à la fois diriger, organiser, prévoir, selon un idéal de rationalité, l'étymologie indique aussi une proximité sémantique avec manier et manège : le manège où l'on dresse les chevaux.
Par sa connexion avec le néolibéralisme le management se convertit en une forme, insuffisamment identifiée, de gouvernementalité globale. Quels éclairages peuvent nous apporter les sciences humaines sur les conséquences de cette extension du discours managérial pour chacun d'entre nous, que nous soyons étudiant, salarié, militant associatif ou patient ? Pourquoi le discours du néomanagement s'est-il imposé aussi facilement ? Quelles conséquences pour la démocratie ? Au nom de quoi et comment se légitime ce pouvoir qui s'exerce dans le déni du Pouvoir ? Ce numéro 17-18 de la revue Mana tente d'apporter des éléments de réponses à ces questions cruciales afin de mieux comprendre notre environnement professionnel et, plus largement, la fabrication de notre quotidien.