La première question que tu te poses : Pourquoi cette lettre ? Et la seconde suivra immédiatement : À quel titre ?
Tu me connais par ce que j'ai écrit ! Si je l'ai fait ? J'ai vu disparaître une civilisation qui était
celle de tes parents, civilisation qui venait du Temps, qui avait sa base dans la campagne profonde, pays où notre monde s'était ancré.
Je ne suis pas un étranger, un technicien, un individu qui n'a connu que les Ministères, les bureaux et la théorie.
Je suis un des tiens. Je suis né dans cette campagne aujourd'hui oubliée, dans un hameau d'une simple commune. Nous étions trois. Mon père paysan de cour, de sentiment et de passion a vécu dans ce petit univers qui était son rêve. Ma sour est restée, mon frère a pris la suite. Je suis parti parce que c'était mon rôle de partir mais jusqu'à ma majorité, durant toutes les vacances, durant tout le temps libre, j'ai roulé derrière le char ou le tombereau, j'ai manié la scie, la bêche, la fourche, la pioche, le passe-partout, j'ai « donné » le foin dans le pré et calé ce même foin sous les chevrons de la grange, à brassées, dans une chaleur de four et au milieu d'une poussière qui, à la longue, me rendait aveugle !
Ton métier, je le connais.
Je l'ai pratiqué. Je l'ai subi. Je serais né dans un autre environnement, j'aurais connu une autre vie. Mais la tienne a été la mienne et j'en suis fier.
Voilà pourquoi - peut-être ! - tu liras ma lettre. Elle n'est pas là pour changer ta vie - ce serait trop demander ! - elle est là pour te faire réfléchir, pour t'aider, pour, au mieux, te tendre la main.
Alors, si tu le veux bien, prenons quelques minutes !
Entrouvrons la porte des souvenirs.
Après tout, ils ne sont pas si lointains et hier est encore là, tout proche, criant d'une vérité que tu as peut-être connue, sûrement pressentie.
Parce que, vois-tu, si hier n'avait pas été, aujourd'hui, n'existerait pas. Le temps d'hier conditionne entièrement le temps d'aujourd'hui même si, en apparence, tout a changé.
Tout ? Sauf les constances et, bien vite, on va mettre le doigt sur ce qui était la vérité du passé et qui est demeurée celle d'aujourd'hui !
Il est une base, une réalité tout aussi bien universelle que calée dans le temps : sans le paysan, la vie n'aurait pas existé.
On a tendance à reconnaître - parfois ! - que l'homme de la terre a nourri l'humanité. Quel que soit le processus employé, depuis ses bras jusqu'aux techniques les plus avancées, le résultat a été le même. Sans lui, le Monde en serait resté à ses premiers balbutiements.
Beaucoup ont été imbus de cette vérité, ont pratiqué ce métier par passion, ont été grands, d'autres l'ont pratiqué par hasard, par nécessité, par routine.