Quoi de mieux, pour illustrer la lutte éternelle entre le pouvoir et le bonheur que de l'évoquer au cour d'un Empire romain finissant, cerné par son propre crépuscule ? À travers une active rêverie sur l'Histoire et ses énigmes, le roman de Jean-Luc Wauthier a retenu cette réflexion d'Alexandre Dumas : « L'histoire est un porte-manteau sur lequel on accroche un roman. » Pour autant qu'il soit habillé de poésie ! Dans la prestigieuse bibliothèque de l'université d'Oxford, l'auteur fait une découverte surprenante : rien moins que les Mémoires, quasi complètes, du dernier empereur romain d'Occident, Romulus Augustulus, dont nous ne savions à peu près rien, ce peu étant lui-même encombré de légendes, de mythes, de faits invérifiables.
Quand le manteau de l'Histoire est troué, une broderie chargée de sens peut se montrer aussi opérante et légitime que les prétendues certitudes ou les simplifications abusives. Jean-Luc Wauthier imagine la découverte dans la bibliothèque d'Oxford de tablettes qui constitueraient le journal intime de Romulus Augustulus, dernier empereur romain d'Occident, assorties de plusieurs ostraca de la main d'Amélia, sa compagne adorée.
Déposé à Ravenne, en 476, par Odoacre au service de l'empire romain de Byzance, le sort d'Augustule, pratiquement ignoré, n'est pas sans rappeler sous la plume de l'auteur celui d'un autre dernier empereur devenu jardinier à Pékin. Et c'est dans la peau d'un humble savetier, après avoir échappé, lors de son exil à Naples, au massacre machiné par les sbires du pouvoir byzantin, qu'Augustule est revenu incognito à Ravenne où, devenu veuf d'Amélia, il mourra en 542.
Survivant donc longuement aux assertions nécrologiques de l'Histoire ainsi démenties par la découverte providentielle de ces tablettes d'Oxford... Peu importe d'ailleurs, puisque Jean-Luc Wauthier tient heureusement le propos, non de nous instruire sur un destin précis, mais d'ancrer dans une réalité évasive, une histoire d'amour et de sagesse. Pour rappeler que bonheur et pouvoir font rarement bon ménage.
Que l'un et l'autre sont fragiles, à des titres différents. Que l'amour vrai est plus vigoureux que tous les empires du monde appelés à s'écrouler un jour, comme c'est alors le cas pour celui de Rome. Tout cela traité sur le ton d'une rêverie poétique, sereine, quasi musicale, mais aussi sans illusions sur l'homme. Ce ton qui a pu inspirer un chef d'ouvre à Marguerite Yourcenar, puisé lui-aussi dans le passé d'un empereur romain et lui-aussi porteur du souci humaniste de celle qui l'a si heureusement habité.
(Ghislain Cotton, Le Carnet et les Instants.) Professeur en Haute Ecole jusqu'en 2009, Jean-Luc Wauthier, né à Charleroi, coule désormais des jours heureux dans la Petite Fagne wallonne, pays de ses racines paternelles. Il a publié une vingtaine de livres (poésie, nouvelles, monographies, roman, livres d'artiste). Il est par ailleurs Rédacteur en chef du Journal des Poètes et collabore aux revues virtuelles Textures et Recours au poème.