Marchant de long en large au milieu du vignoble, Robert Desprieur était décontenancé et surtout démoralisé. Le dos courbé, il avançait d'un pas... > Lire la suite
Marchant de long en large au milieu du vignoble, Robert Desprieur était décontenancé et surtout démoralisé. Le dos courbé, il avançait d'un pas traînard un peu comme marche un vieillard. Il est vrai qu'en cet après-midi de fin août, en pénétrant dans son vignoble, il avait eu l'impression d'avoir vieilli de dix ans. Un peu partout, la vigne paraissait comme épuisée d'avoir tant donné depuis des décennies. A la place des longs sarments chargés de grappes qui faisaient la joie et la fierté du viticulteur, on ne voyait plus que des petits raisins secs, acides qui pendaient de-ci de-là sur de maigres pousses rabougries...
Après le traité de libre-échange Cobden-Chevalier de 1860, les distillateurs français et anglais pouvaient désormais se faire concurrence sur un pied d'égalité. La vente de l'eau-de-vie enrichissait alors largement toute la paysannerie charentaise. Le prix des terres s'envolait pour atteindre des sommets vertigineux. Mais, vers 1870, le vignoble charentais, comme l'ensemble du vignoble français, était décimé par le phylloxéra. Les pieds de vigne étaient arrachés et les terres laissées en jachère. Beaucoup de gens pensaient alors que la région était maudite. Des émigrants, en particulier des Vendéens, allaient reprendre ces terres pour les cultiver et introduire l'élevage de vaches. C'est ainsi que, venu d'Amérique, un petit insecte à peine visible à l'oil nu, le phylloxéra, fut à l'origine du beurre charentais...
Bernard Morasin, qui vit à Fouras (Charente-Maritime), s'est fait depuis de nombreuses années une réputation de romancier régionaliste. Voici un beau roman enraciné dans le terroir des Charentes et qui est aussi l'occasion de mieux appréhender les hommes, les terres et l'histoire d'un proche passé régional.