Sur le pavé de Paris pousse une race d'adolescents que Victor Hugo a immortalisée dans son personnage de Gavroche. Peu importe l'origine raciale, religieuse,... > Lire la suite
Sur le pavé de Paris pousse une race d'adolescents que Victor Hugo a immortalisée dans son personnage de Gavroche. Peu importe l'origine raciale, religieuse, nationale de ceux que Paris choisit pour être ses enfants d'élection : il suffit d'être né dans un des quartiers populaires où se perpétue une tradition. Fils d'émigrés russes : père juif et mère aryenne, Bakcha Maurice, ainsi qu'il se désigne encore comme à l'école, enfant du quartier du Marais, celui des petits artisans, réunissait à dix-sept ans la gouaille, la chaleur de cour, l'impertinence, le sens de la justice, le culot et le courage, et l'amour passionné d'une vie qu'il était pourtant prêt à sacrifier pour ne point trahir ce ou ceux en qui il croyait. Vint la guerre. Bakcha Maurice se cacha en zone libre, fut pris, bêtement, déporté. En 1942, il était à Auschwitz. Libéré par les Russes en 1945, il échappa à la fois aux S. S. et aux libérateurs, entreprit de se rapatrier tout seul et y parvint au bout d'un long périple. Voilà. Voilà en quoi se résument cent épisodes plus étonnants et inimaginables les uns que les autres, voilà ce que fut la vie d'un garçon qui ne voulait pas mourir et qui y parvint sans se déshonorer, dans ce qu'il appelle « l'Hôtellerie de la Grande-Allemagne », puis sur « sa route enchantée » du retour. Mais cette route, n'avait-il pas déjà entrepris de la parcourir, dès le premier jour, celui où se dressa devant lui le portail d'Auschwitz, la première de ces portes qui s'ouvrirent sur une nouvelle naissance jusqu'à ce que l'adolescent fût devenu un homme. Cette histoire, Bakcha la raconte comme n'ont encore jamais été racontées des histoires de déportation : il la raconte dans le langage d'un gamin de Paris habitué des cinémas, fou de chansons, qui trouve dans son irrévérence la force de lutter. De cette langue familière que nourrissent la blague, l'auto-ironie, mais aussi la poésie pure, Bakcha a fait une langue littéraire à son usage et à sa manière. Certains, parmi ses premiers lecteurs, ont été profondément choqués par ce ton ; ils n'ont pas compris ce qu'il cache de pudeur et de courage ; que manifester sa sympathie en termes d'argot n'est pas la déprécier ; que « mon vieux pote » signifie bien plus que « mon cher ami ». Ceux qui savent lire la face cachée des mots respecteront d'autant plus Bakcha d'avoir su parler de l'horreur avec autant de modestie.