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Au sein de l'Empire français moderne, des dizaines de milliers d'enfants sont nés de la rencontre coloniale. Leur situation a varié d'un territoire à l'autre : socialement et politiquement invisibles en Algérie, les " métis " ont été au centre d'un vaste débat sur les fondements de l'ordre colonial en Indochine. Le plus souvent nés de l'union passagère d'un colonial et d'une indigène, illégitimes, non reconnus puis abandonnés par leur père, hybrides et bâtards, ils brouillaient la frontière de la domination. La " question métisse " a aussi été posée à Madagascar, en Afrique subsaharienne et, à un moindre degré, en Nouvelle-Calédonie. La puissance coloniale tenta de " reclasser " les métis : soustraits au " milieu indigène ", placés dans des orphelinats spéciaux, ils reçurent une éducation qui visait à " redresser leur hérédité " et à en faire des Français " d'âme et de qualité ". À partir de la fin des années 1920, le point culminant de cette entreprise d'assimilation fut la reconnaissance de la citoyenneté à ceux qui pouvaient prouver leur appartenance à la " race française " : avec la " question des métis ", la notion de " race " entrait en droit français par la grande porte, devenant un critère d'appartenance à la nation. Cette législation bouleversa le destin de milliers d'enfants métis : en Indochine, au moment de la décolonisation, 4 500 d'entre eux furent séparés de leur mère et massivement " rapatriés ". Cet ouvrage traite de l'histoire oubliée des enfants de la colonie en insistant tout particulièrement sur le cas indochinois. Il montre que " la question métisse " a été le produit de la dynamique des relations de genre, de race et de classe dans l'Empire, de l'articulation entre sexualité et domination, mais aussi des manières indigènes de concevoir les relations avec les colonisateurs. Le traitement de la " question métisse " par le droit révèle une face cachée mais fondamentale de l'histoire de l'appartenance nationale.
(Cette édition numérique reprend, à l'identique, l'édition originale de 2007.)
Emmanuelle Saada est historienne et sociologue. Elle enseigne la sociologie historique de la colonisation à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS).