Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Jean de La Bruyère. Constamment remanié et enrichi de 1688 à 1694, les "Caractères ou Les Mours... > Lire la suite
Texte intégral révisé suivi d'une biographie de Jean de La Bruyère. Constamment remanié et enrichi de 1688 à 1694, les "Caractères ou Les Mours de ce siècle" connaîtront neuf éditions du vivant de La Bruyère, passant de 420 maximes, portraits et réflexions à 1120. Ce succès et ces métamorphoses du livre s'expliquent par la qualité de l'ouvre, par l'originalité surprenante de sa structure, par le brillant du style, mais aussi par la vérité d'une peinture des mours qui sait également refléter des maux sociaux et culturels éternels. Après avoir exposé sa doctrine littéraire dans le chapitre "Des ouvrages de l'esprit", La Bruyère décrit les divers éléments de la société, traitant d'abord "Du mérite personnel" puis "Des femmes" et "Du cour". Il traite ensuite "De la société et de la conversation", abordant la peinture des classes sociales et s'en prenant aux richesses mal acquises ("Des biens de fortune"). Il se moque de la bourgeoisie vaniteuse dans "De la ville" (Paris) et dénonce les graves erreurs "De la Cour". Le chapitre "Des Grands" est d'une ironie mordante pour ceux qui profitent des avantages d'une illustre naissance. Presque au centre du livre se trouve un éloge de Louis XIV, où l'enthousiasme est tempéré par de prudentes exhortations ("Du souverain ou de la République"). Le moraliste proprement dit apparaît dans le chapitre "De l'homme", suivi "Des jugements". On revient aux observations concrètes dans les chapitres "De la mode", "De quelques usages" et "De la chair". La conclusion ("Des esprits forts") est une attaque en règle contre les libertins. Dans cette riche galerie prennent place toutes les professions et les types les plus divers: le riche, le pauvre, l'égoïste, le bel esprit, l'efféminé, l'affairé, le pédant, le collectionneur, le distrait,... Incisifs ou longuement développés, il ne fait pas de doute que La Bruyère ait trouvé ses modèles dans le monde où il vivait, dans cette société des Condé à Chantilly, où se retrouvait tout ce qui comptait alors en France, et qui offrait à l'observateur l'anthologie la plus colorée des passions humaines. La Bruyère n'a pas son pareil pour isoler le mot, le geste, le "tic" où se trahit d'un coup tout un caractère. Mais il va va toujours au-delà de la simple anecdote et la plupart de ses portraits rassemblent et fondent en de parfaites unités romanesques les traits de toutes ces variétés du genre humain. Sa lucidité, sa raison ironique et son réalisme concret, si bien servi par un style agile et incisif, marque à lui seul une transition entre les grands classiques et les philosophes du 18e siècle. Grâce à son étonnante mobilité de style, de ton et d'esprit, La Bruyère sollicite l'intelligence et l'imagination du lecteur, le déplaçant d'un point de vue à l'autre, des hypothèses à leur retournement polémique, des amplifications à leur chute ironique, provoquant des effets de miroir et des jeux d'échos nous rendant les "Caractères" si contemporains.