Le plus dur, le soir, quand on traîne, c'est d'oublier la journée, c'est d'arriver à ne plus se dire qu'on devrait bien rentrer, c'est d'attendre la... > Lire la suite
Le plus dur, le soir, quand on traîne, c'est d'oublier la journée, c'est d'arriver à ne plus se dire qu'on devrait bien rentrer, c'est d'attendre la nuit. Pas la fin du jour, mais l'autre nuit. Celle où on est comme dans un train. Nulle part. Cette nuit-là, elle commence tard. Elle se lève quand la soirée s'achève et qu'on ne bouge pas, comme pour se faire oublier. On laisse tous les autres partir, rentrer. Soi, on peut pas se résoudre. Un empêchement intime. On regarde passer la sortie des derniers cinémas et on reste là. au comptoir ou sur une chaise. Alors la nuit se lève et commence. On oublie la journée. On dit hier pour ce soir. On part. On arrivera demain matin, comme on pourra. Entre les deux : l'éternité. Je n'étais pas buveur. Juste des cafés avec des cigarettes. Des fois un panaché, l'été quand il faisait très chaud, mais rarement. Dans ces havres de lumière qui balisent la nuit de la ville, on est entre initiés, le temps qui passe a écrémé le « tout-venant ». Du haut de ma statue, je ne me sentais pas solidaire de tous ces poivrots et de leurs rires de têtes de mort, mais j'avais une attirance pour l'ambiance. Difficile à expliquer. J'aimais voir s'épanouir ces sentiments détériorés, ces lambeaux d'émotions relégués loin au fond du bonhomme, et qui, mis en confiance, remontaient grotesques et pathétiques comme un renvoi d'amour, comme un persistant regret. Quand plus rien ne tire à conséquence. Quand le cour n'a plus peur, il ose. Personne ne juge plus. On n'est pas là pour ça. La nuit enveloppe. On tente un mot vers le voisin. S'il répond, s'il est d'accord, alors on y va. On parle. On invente un peu sa vie, pour l'émotion, pour le plaisir, par goût du beau.