Marcel Aymé aura écrit énormément de nouvelles. « Le vin de Paris » est un des recueils de ces nouvelles paru en 1947, juste à l'après-guerre. Ces nouvelles sont, quasi systématiquement, bordées, frangées de fantastique. Marcel Aymé utilise volontiers l'outrance du fantastique pour mieux mettre en évidence son propos ou la conclusion à laquelle il veut amener le lecteur. On est le plus souvent au bord du conte, et le tout dans une langue châtiée mais très agréable à lire.
Pas étonnant qu'on faisait lire autrefois (?) Marcel Aymé - et notamment « Les contes du chat perché » dans les écoles.
La nouvelle éponyme ne m'a pas paru la plus intéressante, elle a pourtant été choisie par Marcel Aymé pour titre au recueil.
« La traversée de Paris », marquée par les séquelles de la guerre, est sérieusement plus intéressante. Histoire de trafiquants de marché noir, de viande.
Il y a le boucher qui abat le cochon, le découpe, le prépare, mais surtout, et c'est là que va se jouer la nouvelle, les porteurs. Ceux qui, la nuit venue, dans Paris, transportent la viande répartie dans des valises pour les livrer aux clients en trompant la vigilance des troupes d'occupation. Dans cet exercice, Martin (patronyme omniprésent dans l'ouvre de Marcel Aymé, cf « Derrière chez Martin ») est le porteur chevronné.
Il est accompagné, pour la première fois et sans trop savoir qui il est réellement de Grandgil, personnage plutôt mystérieux.
L'écriture est sombre à souhait. La nuit, à Paris, sous l'occupation, à faire du trafic; on y est.
« En débouchant boulevard de l'Hôpital, un vent brutal et glacé, qui soufflait du nord à grand découvert, leur coupa la respiration. Martin dut poser l'une de ses valises pour assurer son bord noir qui branlait sur sa tête.
Grandgil exhalait sa mauvaise humeur en jurant, mais le vent était si rapide qu'il fallait presque crier pour se faire entendre. Dans la nuit noire, piquée de rares lumières bleues sans portée, les deux hommes sentaient autour d'eux la désolation du grand boulevard nu que la grande plainte du vent élargissait encore. La marche était si pénible qu'il leur semblait n'avancer qu'avec une extrême lenteur »
La suite est tout aussi sombre, huis-clos entre deux personnages singuliers que Marcel Aymé fera basculer dans le drame.
« La grâce » est à nouveau du domaine du fantastique. M. Duperrier, comptable anonyme de son état, est affligé du port d'une... auréole! Outre que cela est très singularisant, sa femme ne supporte pas cet élément qui peut faire jaser. Les premières tentatives consistent donc à camoufler en permanence l'auréole mais bien évidemment cela ne suffit pas. La suite sera un délectable passage en revue des péchés capitaux - et de leur mise en ouvre - afin de perdre cette disgracieuse auréole.
Pas si simple!
Marcel Aymé devait être dans une veine pieuse puisque « Dermuche » voit le dit Dermuche, assassin de son état condamné à être guillotiné, prendre l'incarnation dans sa cellule le matin de son exécution du petit Jésus. Va-t-on guillotiner Jésus? Du Marcel Aymé dans toute sa splendeur.
« Le faux policier », lui, est toujours dans la veine « fin de la guerre ». Martin (!), comptable (il aime, Marcel Aymé) dans une maison de commerce, arrondit ses fins de mois en jouant les faux policiers et en faisant chanter tous ceux qui ont profité durant la guerre.
Tant va la cruche à l'eau ...
La dernière, et longue, nouvelle: « La bonne peinture », n'est pas aussi marquante. Une drôle d'histoire de peinture qui créerait le sentiment de satiété à quiconque la contemple, phénomène exploité par les pouvoirs publics à la sortie de la guerre pour tenter de nourrir la population. Avec les dérives qu'on peut imaginer et le parti que peut en tirer Marcel Aymé.
Au bilan, un recueil centré sur la toute fin de la guerre et qui constitue un témoignage intéressant sur les préoccupations et les schémas de pensées de l'époque. Et ludique, en plus!