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« ... Nous nous étonnons que des cités, soi-disant démocratiques - comme Athènes et Rome - aient accepté l'esclavage, sans y voir un démenti de leurs principes. Sans doute, la postérité se demandera-t-elle comment une société « égalitaire » a pris pour accorder l'oppression des femmes. On dirait que, même chez les individus que toute oppression indigne, il existe là une sorte de tache aveugle : littéralement, ils ne voient pas celles que subissent les femmes. En créant, dans les Temps modernes, la rubrique du Sexisme ordinaire, nous avons voulu leur dessiller les yeux.
L'entreprise a d'abord paru divertissante aux auteurs du Sexisme ordinaire. Mais, peu à peu, sa facilité leur a semblé fastidieuse. Elles ont préféré analyser les articles, les livres, les films, où le sexisme se dissimulait un peu plus subtilement. Et elles ont essayé d'exprimer, sur ce monde conduit par des hommes, leur point de vue de femmes ; elles peuvent le juger avec plus de liberté - détachement ou révolte - que ceux qui en endossent la responsabilité.
Ni mégères, ni fanatiques, ni guindées dans un militantisme austère, elles savent se moquer tendrement les unes des autres, et rire d'elles-mêmes. Elles possèdent cette qualité qu'on dénie si volontiers aux femmes : l'humour.
Souvent drôles, parfois nostalgiques, elles ne songent pas à disputer aux hommes leurs places, leurs rôles, leur dérisoire importance. Ce qui se lit en filigrane à travers ces textes, c'est le rêve d'un monde autre : un monde, où le pouvoir ne constituerait pas la suprême valeur, mais où chacun pourrait connaître la gaieté de vivre. Cette gaieté rayonne à travers tout le livre, et en rend la lecture à la fois joyeuse et tonique. »
Simone de Beauvoir (extrait de la préface)