« L'homme ne peut choir hors de ce monde », disait à Freud l'un de ses amis. C'est pourtant ce que l'homme veut : sortir de ce monde ; entrer dans... > Lire la suite
« L'homme ne peut choir hors de ce monde », disait à Freud l'un de ses amis. C'est pourtant ce que l'homme veut : sortir de ce monde ; entrer dans un autre ; dans l'Autre. Depuis qu'il est sorti du ventre de sa mère, il ne rêve que de cet au-delà vers où monte le ravi de Jérôme Bosch, sous la conduite de l'ange. Nos anges, aujourd'hui, ce sont les cosmonautes, dit Lacan. Nous les avons vus à la télévision crever notre plafond, traverser nos murs, mettre le pied sur la Lune et réaliser ainsi notre rêve. Mais quoi ? La Lune n'est qu'une planète. Certains sont revenus du voyage ; d'autres pas. Les cosmonautes qui ont vraiment franchi le seuil de l'Autre Monde n'en sont pas revenus. Je veux dire que, même ceux qui sont revenus, ne sont revenus que du Même. Cette effraction, ce fut d'abord et primordialement celle de la naissance : moment de rupture où jaillit le cri ; mais il se répétera en ces autres points de rupture que seront la jouissance et la mort où, dans le déchirement de l'espace imaginaire et de l'organisation symbolique comme système clos et leur enclenchement dans le réel, s'annonce la proximité de ce que Bataille appela le sacré ; mais là où Bataille parle de « sacré », Lacan, lui, s'en tient à l'impossible réel. « Les marques de présence » que l'enfant trouve en naissant, et qu'il reçoit comme une réponse à son cri, mettent fin à l'angoisse et instituent, par un malentendu, l'espace du langage et de l'échange, déportant le sujet à venir dans le symbolique. De ce fait, le sujet manque le réel et se trouve divisé entre jouissance et parole. Devra-t-il perdre le langage pour retrouver l'angoisse et le cri ? Est-ce à ce prix que se récupère le sujet ? Il y a peut-être une autre issue possible au tragique dilemme qui nous enferme et dont témoignent douloureusement les écrivains de notre temps. E. L.-L.