La terre d'Alsace pendant la tourmente de 1870 et les premières années d'occupation... Après la défaite de l'empire français, l'Alsace et une grande partie de la Lorraine sont proclamées Reichsland- c'est à dire terre d'Empire - par Guillaume 1er. Tout en étant alors « abandonnées » par la France, les populations concernées vont s'opposer, comme elles le peuvent, aux serres de l'aigle. D'un côté un peu d'histoire, de l'autre un peu de fiction et au beau milieu cette terre d'Alsace, dans la quête de ce que l'on nommerait aujourd'hui son identité.
Par le caprice des événements, des hommes faits de chair et de sang vont être amenés à sortir peu à peu du personnage que la vie leur avait dévolu, apportant ainsi la preuve que l'enveloppe ne crée pas nécessairement l'être qu'elle est censée contenir. Amours, amitiés, douleurs et colères vont alors tisser des liens qu'aucun d'entre eux n'aurait pu imaginer. Le Passage du Climont se présente comme un roman historique, genre devenu rare de nos jours, si l'on excepte certaines conceptions d'ouvrages comportant les ingrédients et les épices qui font le succès des best-sellers.
Tout autre est le propos de Jean-Yves Vincent. Le véritable sujet de son livre est un pays qu'il a découvert dès l'enfance, qu'il aime, où il revient chaque fois qu'il le peut, et auquel il a consacré de très belles photographies. Ce pays du Val du Villé, celui du val de Sainte-Marie-aux-Mines, un espace de forêts et de monts, s'inscrit en gros, dans le triangle Saales - Sainte-Marie - Sélestat. C'est lui qui donne son unité au livre, dont le Climont, montagne couverte de conifères, et qui fut l'objet de bien des convoitises, est le cour mythique.
Cela dit, la présence de l'Histoire est constante. L'auteur a fait des recherches dans les archives locales. Il a consulté des experts, tant allemands que français. À l'aide d'une masse de petits faits vrais, il a tenté de reconstituer ce qu'ont pu être les quatorze ou quinze premières années du Reichsland Elsass-Lothringen. Mais, avec la liberté du romancier, il a parfois laissé l'avenir s'annoncer dans telle allusion à ce qui serait, un jour lointain, collaboration ou résistance.
Dans cette grande tourmente historique, s'inscrivent de nombreux destins personnels, des gens du pays, généralement patriotes, mais pas toujours, des occupants souvent inhumains, parfois amicaux ou même complices. L'auteur a su évoquer toutes ces vies en animant des personnages à la fois typés et très individualisés. Sans jamais tomber dans le mélodrame, il a joué, pour le plaisir du lecteur, de ces deux ressorts de la tragédie que sont, pour Aristote, la terreur et la pitié.
Paul Fohr