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Le bruit court avec insistance dans quelques cercles marxistes d'universitaires parisiens généralement bien informés (cercles tout à fait honorables au demeurant, universitaires absolument dignes de bonne foi, Parisiens entièrement au fait des choses de la campagne, marxistes on ne peut plus léninistes), le bruit court, disions-nous, que la race des paysans pauvres, dernier vestige de la préhistoire rurale, se serait éteinte il y a une dizaine d'années, écrasée sous le poids de la mécanique bourgeoise et de la restructuration capitaliste. Qui l'eût cru ? Pas nous, en tout cas. Et surtout pas après avoir rencontré Jeannot et ses trois vaches briquées amoureusement tous les dimanches matin, Henri et Casimir qui furent les premiers du village à acheter un tracteur (le deuxième, ils l'ont fabriqué eux-mêmes : c'est plus sûr), ou Petit Jean qui aime à répéter : « Je suis le plus pauvre de tous les pauvres : je n'ai qu'une vache et mes pauvres parents. » Et tant d'autres, cramponnés à leur montagne comme le lierre à son arbre, que vous apprendrez à connaître, amis lecteurs, tout au long de ces pages. Mais tenterez-vous d'expliquer tout cela à nos cercles marxistes, etc. (voir plus haut) ? La réplique sera immédiate, foudroyante et sans appel : « Les paysans pauvres survivants sont réactionnaires. » Tout est dit. C'est le fin du fin de l'analyse de classe à la campagne : il y a les paysans pauvres réactionnaires, les paysans riches révolutionnaires et les entrepreneurs capitalistes. Après tout, sous-entendent-ils, puisque les paysans pauvres sont condamnés, autant les tuer maintenant, on y verra plus clair. Eh bien, non ! La réalité est tout autre. Peut-être ces messieurs des cercles marxistes, etc., seront-ils surpris de découvrir que la vérité sur la situation des campagnes françaises sort de la bouche des paysans pauvres, mais c'est ainsi. Et non seulement, comme on le verra, ceux-ci ont une opinion tranchée sur leur situation et l'évolution des campagnes depuis quelques décennies, mais, qui plus est, leur point de vue sur l'organisation de la classe ouvrière, la crise du capitalisme ou la situation internationale confirme qu'au sein de la paysannerie ils sont bel et bien le fer de lance et le point d'appui sans lequel il ne saurait y avoir de lutte de classe dans les campagnes.