Le feu s'étiole et ma barbe s'allonge. C'est Moral, le narrateur, qui dit cela. Ou du moins se le raconte. Car le feu ne brûle que dans son imaginaire... > Lire la suite
Le feu s'étiole et ma barbe s'allonge. C'est Moral, le narrateur, qui dit cela. Ou du moins se le raconte. Car le feu ne brûle que dans son imaginaire et sa barbe est toute mentale. C'est un être, encore immergé dans la fraîcheur de l'enfance, qui se fait son cinéma. Un cinéma, comme il convient, à base de western. Moral, donc, enfourche sa jument Homélie. En avant pour l'Ouest, à la fois Éden promis et paradis perdu ! Rio, fennecs, colts, saloons et shérifs, toute cette imagerie sublime est ce qui nous rend le goût du bonheur. Elle masque le quotidien, et le démasque aussi, en faisant surgir le dérisoire. Les intégrant au jeu, elle apaise amertumes, tourments et ces fonds de mauvaise conscience qui traînent en nous. Et, à travers elle, nous devenons soudain un héros d'épopée, épopée dont nous composons les moments à notre fantaisie, distribuons à notre gré les personnages - ici, Félor, Octave, Piron, Silence la paralytique... -, les déguisant, les mélangeant et les confondant avec d'autant plus de plaisir qu'ils nous sont, en général, fournis par nos proches... Plaisir du narrateur en action. Mais plaisir, surtout, du lecteur appelé à partager la chevauchée que ce narrateur entreprend sur les pistes d'un imaginaire consacré, dont il renouvelle et subvertit malicieusement les stéréotypes. L'écriture de ce roman respire une irrésistible allégresse, et ses trouvailles saugrenues, ses secousses rythmiques ravageuses, évoquent savoureusement certains Mack Sennett d'antan. Mais il lui arrive également de laisser affleurer ces manques, ces blessures secrètes de l'enfance que la dérive imaginative s'emploie à combler, et c'est une sorte de nostalgie déchirante qui tout à coup nous étreint.