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"Au moment de rédiger ma prière d'insérer, il me vient le regret de n'avoir pas écrit une préface au Bouf clandestin, qui eût été quelque chose comme une physique des péchés capitaux. Je me serais efforcé d'y démontrer qu'il existe un seuil de tension passionnelle au-delà duquel la consommation du péché acquiert, par les énergies mises en ouvre, une sorte de justification plastique et qu'en deçà de cette limite, n'étant plus compensé par la dignité du mouvement, mais réduit à sa médiocrité statique, le péché n'est plus que laideur et mérite d'être appelé, seul, capital. Je n'aurais même pas reculé à indiquer que le seuil en question est en même temps celui du pardon, ce qui m'aurait peut-être gagné la sympathie des âmes romantiques.
Le pécheur le plus important de mon Bouf est un homme bien élevé, bon père, bon époux et sollicité de modestes démons auxquels il cède avec mesure, en se tenant sans effort dans les régions d'"en deçà". Il ne saurait inspirer, à ce qu'il me semble, ni l'amour, ni la haine, ni la pitié. L'Enfer qu'il porte en lui ne répand qu'une chaleur et une puanteur très discrètes et le drame qu' il suscite reste muet. Les autres pécheurs sont également "en deçà", l'un d'eux, seul, affleurant au seuil.
À côté de ces insuffisances infernales, j'ai une très belle jeune fille dont la santé et la vertu un peu rêche sont extrêmement réconfortantes. J'ai un ingénieur qui est très bien aussi, travailleur, avare et méfiant. À la fin, je les marie."
Marcel Aymé.