Marcel Rouff (1877-1936)
"Un brûlant midi d'été sur la place de la Mairie, déserte, incendiée de lumière. La vie n'y est plus représentée... > Lire la suite
Marcel Rouff (1877-1936)
"Un brûlant midi d'été sur la place de la Mairie, déserte, incendiée de lumière. La vie n'y est plus représentée que par des tilleuls grillés et poussiéreux. Le vide et la chaleur ont envahi le petit Café de Saxe, ancienne hostellerie provinciale où le duc de Coulante daigna jadis se restaurer d'une fricassée et de trois larges fioles d'un vin frais du pays.
L'ombre de la salle, fille de stores jaunâtres et douteux, n'est piquée que par les taches brunes des quatre banquettes de moleskine, par le marbre usé des tables, par les transparences vertes, jaunes et rouges des ratafias, apéritifs et liqueurs qui font au patron, derrière son comptoir, une auréole multicolore et alcoolique. En manches de chemise, gras et luisant, chauve et morose, il observe, sur son haut tabouret et à l'abri d'une pyramide de verres, une réserve qu'on sent inaccoutumée et qui, pour être sans cesse agitée par les efforts spasmodiques qu'il fait en repoussant une invasion de mouches acharnées aux plis de sa graisse, semble chargée d'une grande détresse et d'une vague angoisse.
Cette détresse et cette angoisse rôdent aussi, sans aucun doute possible, dans l'âme de deux clients qui ruminent un souci commun devant des tasses à café vides, escortées d'un appareil compliqué de boîtes, de réchauds et de récipients où s'élabora le précieux liquide.
Le plus maigre, ou plutôt le moins gras, soulève lentement d'entre ses mains, appuyées, par l'intermédiaire de longs bras, sur le marbre de la table, une tête blanche quant au poil, rouge à l'extrême quant à la peau, et montre une face où le regard est immédiatement sollicité par des lèvres si curieuses qu'elles accaparent l'attention, des lèvres minces et allongées qui semblent éternellement faire glouglouter dans le gosier un nectar dont elles cherchent tout le parfum.
- Et puis, Dodin, lui, résistera-t-il au coup ? C'est le bouleversement de toute sa vie."
Eugénie, la cuisinière de Dodin-Bouffant, vient de mourir. C'est un drame pour ce brave retraité du Jura et ses disciples qui n'ont qu'une passion : l'art de la table poussé à son paroxysme. Dodin-Bouffant réussira-t-il à trouver une nouvelle cuisinière digne de la défunte Eugénie ?