Les pays changent de physionomie ainsi que les hommes. Aujourd'hui la Suisse nous semble une idylle vivante ; il y a trois ou quatre siècles, elle n'était... > Lire la suite
Les pays changent de physionomie ainsi que les hommes. Aujourd'hui la Suisse nous semble une idylle vivante ; il y a trois ou quatre siècles, elle n'était rien moins que bucolique. À ce nom de Suisse, dont les vers et la prose ont abusé sans lui ôter sa poésie, un monde de bergers apparaît à l'imagination. On croit toujours les voir monter avec leurs troupeaux, de saison en saison et d'étage en étage, ces montagnes dont Jean-Jacques Rousseau, Ramond et Töpffer permettent au lecteur de faire l'ascension sans quitter son fauteuil. On croit toujours les entendre, au coucher du soleil, appeler dans le lointain avec des notes gutturales les vaches paresseuses. Le voyage même, au lieu de dissiper l'enchantement, le fortifie : quand on voit ce pays si calme et si riant sillonné d'allées comme une promenade publique, commode et bien tenu à l'égal d'un jardin, le moyen de s'imaginer qu'il n'a pas toujours été ainsi ? Si vous interrogez la littérature, elle affuble les bergers de cette pastorale d'un appareil philosophique. L'éloquent Jean de Müller qu'a-t-il écrit, si ce n'est une pastorale politique ? Il semble, à le lire, que les Suisses aient été un peuple de sages, vivant de peu par principes, labourant philosophiquement ses champs suspendus au flanc des montagnes, ne respirant que la paix, et faisant la guerre seulement quand un prince venait troubler sa vertueuse placidité.