Christophoros Liondàkis, présentation par Michel
Volkovitch
Christòphoros Liondàkis, originaire de Crète, appartient à ce
qu'on appelait naguère la « génération de 70 », dont les
membres n'ont plus grand-chose en commun désormais, si ce n'est
d'être apparus en poésie ensemble, pendant ou juste après la
Dictature.
Cette génération est la dernière en Grèce àêtre née dans un
monde encore tout imprégné des moeurs et modes de pensée
traditionnels, monde aujourd'hui pratiquement disparu.
Liondàkis,
parmi ces poètes, est l'un de ceux qui habitent le plus intensément
leur enfance. Il a aimé, il aime encore avec passion la nature -
son « premier refuge », « un aimant qui m'attirait
et que je suivais fasciné »- ainsi que la ville d'Héraklion,
carrefour entre Occident, Afrique et Asie, « ville
palimpseste » où l'on retrouve sous le présent tous les étages
du passé ; « une ville qui nourrit le mythe, elle-même
nourrie par lui ».
Dès ses trois premiers recueils, La fin du paysage, Mutation et Garage souterrain, le poète a trouvé sa
voix, mélange de clair et d'obscur.
Tout ici est moins dit que
suggéré, avec une fulgurante concision, comme chez Mallarmé, ou
Bonnefoy, ou le dernier Sefèris, le plus troublant, celui desTrois poèmes secrets. Liondàkis est de ceux pour qui la
vérité ne peut être saisie de face, en pleine lumière, mais par
coups d'oeil obliques, dans une suite d'éclairs et d'éclats.
Vient ensuite Le minotaure déménage, que le poète
considère comme le premier recueil de la maturité.
Il y raconte une
histoire d'adolescence, de culpabilité, d'exil - sa propre histoire
de Crétois quittant son île pour Athènes. Il y joue tous les
rôles : Thésée, Ariane, le Minotaure et même le labyrinthe.
C'est en même temps l'histoire de tout homme qui s'efforce, y
compris contre lui-même, de n'être plus le « figurant »
de « sa propre cérémonie ». Mais Le minotaure
déménage est aussi un art poétique, comme le suggère, de façonévidemment voilée, la toute fin : pour dire les choses, les« résumer », les capter « dans les miroirs » du
poème, il faut ne les dire qu'à« moitié ».
La roseraie aux gendarmes, publié peu après, est lui
aussi fondé sur le va-et-vient entre le présent de l'exil et un
double passé : celui du poète (enfance, adolescence) et celui
de sa patrie, la Crète.
Dans ces trente-neuf poèmes, qui forment un
seul long poème narratif, « la sève des siècles
circule », rapprochant souvenirs mythifiés et mythes anciens
revécus. Plusieurs thèmes s'entrelacent au long de ce labyrinthe,
signalés par les fils d'Ariane de certains mots ou
images-leitmotive : printemps, miroir, semblable, barrière,
inscription, graver, fissure, taureau, oracle, beauté...
Le thème principal étant l'affrontement entre la loi, le dogme,
la culpabilité d'une part, et d'autre part l'infraction, l'hérésie,
l'innocence - entre les gendarmes et la roseraie.
Dans Avec la lumière, dernier recueil paru à ce jour, le
cheminement se poursuit, dans le même paysage-palimpseste où
s'entrelacent mémoire personnelle et mémoire collective, texte
présent et fragments de textes passés, avec peut-être une présence
plus affirmée des personnages urbains d'aujourd'hui et un peu plus
de lumière dans l'obscur.
La valeur de cette oeuvre rare, exigeante a été très tôt reconnue
dans son pays, puis hors de Grèce.
Liondàkis fait partie des poètes
grecs régulièrement invités à l'étranger. L'ensemble que voici
propose quelques extraits des trois premiers recueils, tout leMinotaure, toute la Roseraie et quatre poèmes
seulement d'Avec la lumière, ce dernier recueil étant
actuellement disponible sur papier, aux éditions Desmos.