Pierre-Alexis Ponson du Terrail (1829-1871)
"La cloche du bagne venait de sonner le repos de midi. Les chiourmes de la grande fatigue cherchaient l'ombre,... > Lire la suite
Pierre-Alexis Ponson du Terrail (1829-1871)
"La cloche du bagne venait de sonner le repos de midi. Les chiourmes de la grande fatigue cherchaient l'ombre, car le soleil de juin flamboyait sur Toulon. Les uns s'étaient réfugiés sous la carène d'un vieux navire, les autres se mettaient à l'abri derrière des poutres de bois de construction. Quelques-uns, bravant la canicule, se couchaient à plat-ventre sur le sol brûlant de l'Arsenal. D'autres encore se promenaient silencieux, deux par deux, rivés à la même chaîne d'infamie.
- Cent dix-sept, dit une sorte de géant au visage hébété, aux épaules herculéennes, je te joue les maillons de ma portion de chaîne en cinq points d'écarté.
- Soit, répondit un homme jeune encore, à la taille bien prise, aux mains aristocratiques, au visage dédaigneux et fier.
Le colosse continua :
- Tu veux dormir, moi je veux aller sous la carène écouter les histoires de M. Cocodès, comme l'appellent les camarades. Si tu gagnes, je te laisserai dormir ; si tu perds, tu viendras écouter les histoires.
Le Cent dix-sept, qui ne parlait presque jamais, fit un signe de tête approbateur, et tous deux s'assirent sur une poutre, à longueur de chaîne. Le géant tira de son bonnet un jeu de cartes graisseuses et le plaça devant lui.
- À qui fera ? dit-il.
Et il amena un valet. Cent dix-sept eut une dame et donna. Le géant marqua le roi et fit la vole. Cent dix-sept ne souffla mot et son visage n'exprima qu'une parfaite indifférence. Au coup suivant, le géant marqua le point et dit avec joie :
- Quatre à rien !
Cent dix-sept ne sourcilla point ; mais il tourna le roi à son tour, fit la vole, et en deux coups la partie fut gagnée."
Tome I :
Rocambole décide de s'évader du bagne afin de faire le bien. Pourquoi ne pas commencer avec Milon, son compagnon de chaîne...