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Ce remarquable ouvrage, écrit par un des grands spécialistes de Maupassant, Gérard Delaisement (ancien Inspecteur d'Académie), démontre brillamment que Maupassant « n'était pas un homme du XIXe siècle, malgré les moustaches (...) mais un écrivain d'aujourd'hui ». Organisant sa réflexion en quatre grands chapitres qui rendent compte de l'évolution à la fois thématique et chronologique de la pensée et de la recherche moderne de Maupassant, l'auteur analyse ce concept de modernité, et explique comment l'écrivain, même au début de sa carrière, se situait dans une quête d'écriture qui l'amenait bien au-delà de son temps. Dépassant très tôt la querelle des Anciens et des Modernes, et refusant toute étiquette pour ne célébrer que l'individu, Maupassant se réclame de cette « race d'homme qui tire en avant ». Après un succès littéraire immédiat avec Boule de Suif, que Flaubert qualifie de chef-d'ouvre, il fut d'abord chroniqueur. Et déjà son « oil neuf » lui permet d'anticiper les véritables causes des krachs boursiers bien avant que les spécialistes n'en parlent. Il a la même lucidité moderne en politique. Les chroniques développent chez l'écrivain une vision pessimiste de l'homme et du monde. Mais Maupassant ne se contente pas de rester un témoin moderne d'une simple actualité : il accède à travers l'écriture romanesque à l'élaboration progressive d'une « éthique du désenchantement » de Shopenhauer à Cioran. Son désenchantement se traduit par une vision du mal et de l'impossibilité d'être. Dans les grands romans, la relation à autrui est difficile, l'amour est pris au piège, trop attaché à l'influence de la sensualité de l'instant. La femme est vécue comme responsable de cette guerre des sexes qui se termine en apologie du divorce. Le Temps, comme l'Eau deviennent des éléments de la finitude. On retrouvera cette préoccupation du Temps et de l'Eau chez des écrivains contemporains comme Virginia Woolf. Et comme chez cette dernière, mais en avance d'un siècle, ce mal chez Maupassant s'accompagne de nouvelles recherches et conceptions de l'écriture. Profondément moderne aussi cette quête désespérée et cette inexorable acceptation d'un « à vau-l'eau » de la pensée et de l'être, d'une stagnation dans l'attente qui déjà annonce La Nausée de Sartre. Pour tenter d'y échapper, Maupassant écoutera alors d'autres appels, notamment cette tentation du fantastique, qui traduit une dérive métaphysique du conscient. Et une fois encore, les grands contes (Le Horla, La Nuit), tout comme chez Poe, donneront des éclairages modernes sur l'inconscient (L'Autre, Le Miroir) et le Surréalisme (« cet autre lecteur qui est le texte »). C'est alors une obsession, et une domination des objets qui semblent vivre sans « signifier », ce qui n'est pas sans évoquer la théorie lacanienne de la prépondérance du signifiant dans le langage. Bien avant F. S. Fitzgerald, un autre célèbre désenchanté moderne qui appartient à une Génération Perdue, et qui met en balance l'inévitable de l'échec et la détermination à réussir, Maupassant, comme le déclare J. J. Brochier, « s'il savait impossible la victoire de l'individu, pensait quand même que la bataille valait d'être livrée ». Cette bataille est sa Modernité. Valérie Loiret Éditions Rive Droite