Tout comme l'histoire, la littérature est attachée à la résurrection des morts. Souffle inspiré de l'épopée, minutie narrative et descriptive du... > Lire la suite
Tout comme l'histoire, la littérature est attachée à la résurrection des morts. Souffle inspiré de l'épopée, minutie narrative et descriptive du roman historique, ou bien réincarnation des acteurs de l'histoire sur la scène du théâtre - certaines ouvres de fiction donnent au passé une présence souvent plus forte que celle proposée par les livres des historiens.
Mais Roger Chartier nous met en garde : lorsqu'il les lit, l'historien ne doit jamais oublier l'historicité de ces ouvres et leur mode de circulation. Si le XVIIIe siècle fonde la littérature sur l'individualisation de l'écriture, l'originalité des ouvres et le sacre de l'écrivain, il n'en allait pas du tout de même auparavant : fréquence de l'écriture en collaboration, réemploi d'histoires déjà racontées, lieux communs partagés, formules répétées, ou encore, continuelles révisions et continuations de textes jamais clos.
C'est dans ce paradigme de l'écriture de fiction que Shakespeare a composé ses pièces et que Cervantès a écrit Don Quichotte, à une époque de faible reconnaissance de l'écrivain comme tel : ses manuscrits ne méritaient pas conservation, ses ouvres n'étaient pas sa propriété et ses livres, dans leur matérialité (ponctuation, divisions
internes, paragraphes, etc. qui en fixaient le sens), étaient d'abord l'ouvre des correcteurs, des typographes et de l'imprimeur. Lecteur des textes littéraires, l'historien se doit plus que jamais de savoir faire la part entre la main de l'auteur et l'esprit de l'imprimeur.
Professeur au Collège de France, Roger Chartier est notamment l'auteur, aux Éditions Gallimard, de Cardenio entre Cervantes et Shakespeare. Histoire d'une pièce perdue.